Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/306

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Chère enfant, je t’en conjure, dis-moi tout !… Tu te tais, tu rougis, tes yeux se remplissent de larmes.

— Ah ! si je rougis, c’est de moi-même… si je pleure… c’est de honte ! — répondit Jeane.

Et elle s’écria d’une voix déchirante :

— Cette femme est jeune et belle, j’en ai le pressentiment ; je suis jalouse… je suis folle !

Puis, fondant en larmes, la jeune fille se jeta au cou de madame Dumirail en murmurant :

— Pardon, ma tante ! maudit voyage… maudit voyage !

En ce moment, la porte s’ouvrit, et Maurice entra dans l’appartement.


LIX

Les traits de Maurice, altérés, fatigués par la violence des sensations si imprévues, si nouvelles, si diverses, qui venaient de le bouleverser, s’étaient, depuis quelques heures, presque transfigurés ; on y lisait un singulier mélange d’orgueil, d’assurance et de mécontentement de lui-même. Cette sorte de transfiguration, qui donnait à sa physionomie une expression saisissante dont l’observateur le moins attentif eût été frappé, ne put échapper à madame Dumirail. Elle fit vivement quelques pas vers son fils, puis elle s’arrêta, le contemplant avec une curiosité anxieuse, tandis que Jeane s’efforçait de faire disparaître les traces de ses larmes.

— Mon Dieu, cher enfant, — dit soudain madame Dumirail, — que t’est-il donc arrivé ?

— Que veux-tu dire, ma mère ?… Il ne m’est rien arrivé.

— C’est impossible.

— Je t’assure.

— Encore une fois, il est impossible qu’il ne te soit rien arrivé, ta pauvre figure est toute changée. Je ne saurais préciser en quoi consiste ce changement, et cependant il m’inquiète. Jeane, n’es-tu pas de mon avis ? Regarde Maurice, regarde-le donc !

La jeune fille, dominant son émotion, leva les yeux sur son fiancé, à la fois interdit et embarrassé de la pénétration maternelle.