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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/31

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volent et les ruinent… D’autres demandent des ressources aux friponneries du jeu ; ils se font escrocs… D’autres tombent plus bas encore ; et tel qui, au temps de sa splendeur, a revêtu pour la chasse l’élégant habit rouge du sportman… traîne au bagne la souquenille rouge du forçat.

— Ah !… c’est affreux ! — s’écria Maurice.

Puis son mâle et beau visage se rassérénant, il ajouta avec expansion et un accent d’ineffable reconnaissance :

— Béni sois-tu, mon Dieu ! Tu m’as fait naître dans ces montagnes où je veux vivre et mourir… tu m’as rendu pour jamais l’existence facile, heureuse, en me douant de goûts rustiques ; tu m’as épargné les tentations auxquelles peut-être j’aurais succombé !… Tu m’as donné des parents tels que les miens… un ami, un maître tel que vous, monsieur Delmare ! Vous de qui la sagesse, l’affection, la douloureuse expérience du monde, suffisaient à m’inspirer une invincible horreur du mal… merci, merci à vous, cher maître ! votre sinistre et effrayant tableau des suites d’une dissipation ruineuse a tout à l’heure navré, serré mon cœur… maintenant il s’épanouit plus radieux encore, à la pensée du bonheur dont je jouis… Oh ! jamais… nos prés, nos bois, nos guérets ne m’auront paru plus riants, plus aimés que lorsque tout à l’heure ils se développeront à mes yeux, à mesure que je m’élèverai vers ces hauts plateaux où m’attendent ma mère et ma cousine Jeane, au milieu de nos gaies faneuses…

— Adieu… à tantôt, mon cher enfant ! répondit Charles Delmare serrant les deux mains de Maurice entre les siennes, — je savais que notre entretien ne serait pas stérile ! Je savais qu’à cette salutaire tristesse que le tableau du mal cause aux nobles cœurs, succéderait dans le vôtre une émotion qui rendrait plus vives encore cette allégresse, cette satisfaction de l’âme que l’on doit à la pratique du bien, à la sécurité de l’avenir !

— Vous dites vrai, cher maître, et, appréciant mieux que jamais le charme de la vie des champs, je vais enfourcher mon bon poney, en répétant avec un redoublement de joie au cœur : Vive mon brave Petit-Jean et les prés en fleurs !

Et Maurice quitta Charles Delmare, après lui avoir adressé un cordial et dernier adieu.