Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/380

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jouet avili, ridicule et surtout désespéré. Alors, nous serons vengés tous deux, Maurice ! car, sans l’exécrable influence de ce tentateur, notre vie se fût écoulée au Morillon, aussi pure, aussi paisible, aussi heureuse qu’elle sera tourmentée, orageuse et peut-être criminelle !


V

Richard d’Otremont avait tenu parole et convié au souper, qu’il donnait à la Maison d’Or à madame de Hansfeld et à Maurice, quelques membres influents du club dont il faisait partie et à qui le jeune provincial devait être présenté.

Le souper, splendidement servi, durait depuis une heure, Antoinette avait amené, en manière de chaperon, sa dame de compagnie, grande femme maigre, compassée, réservée, n’ouvrant la bouche que pour boire, manger ou répondre : « Oui, » ou « Non, madame la baronne ! »

Maurice, placé à côté de madame de Hansfeld, éblouissante de parure et de beauté, était déjà presque transformé en homme à la mode ; renonçant soudain, durant la matinée, à ses bonnes résolutions, et quittant l’hôtel des Étrangers, malgré les supplications de sa mère, il s’était rendu chez madame de Hansfeld. Celle-ci, exploitant l’irritation dont il était transporté contre sa fiancée, dissipa très-facilement, par les habiles feintes d’une adorable tendresse, les vagues appréhensions élevées dans l’esprit du jeune provincial au sujet de l’incroyable et presque inquiétante facilité de sa conquête, le décida de louer provisoirement, très à proximité de l’hôtel qu’elle occupait, un appartement garni, où se rendirent de nouveau les fournisseurs ; ils reçurent de Maurice de forts à-compte sur leurs factures moyennant la somme provenant de son emprunt usuraire. M. Simon, le valet de chambre, mandé de nouveau près de son jeune maître, le coiffa, le rasa, l’habilla, et, grâce à sa mâle et belle figure, rehaussée par une élégance du meilleur goût, Maurice, nous le répétons, possédait