Aller au contenu

Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ture, à côté d’une femme de chambre, vint ouvrir la portière de la voiture, d’où descendirent les nouveaux arrivants. Ils furent accueillis avec une simplicité cordiale par leurs parents, qui insistèrent pour les conduire directement à la salle à manger ; mais la Parisienne objecta que ni elle ni son fils n’étaient présentables, et demanda pour tous deux la grâce de se retirer dans leur appartement, afin d’y faire leur toilette du soir.

Les Dumirail, souriant légèrement de cet excès de formalisme, allèrent dans le salon attendre leurs hôtes, qui, après trois quarts d’heure, revinrent, ainsi qu’ils disaient, présentables, à savoir, vêtus avec autant d’élégance et de recherche que s’ils se rendaient à un dîner d’apparat.

La sœur de M. Dumirail atteignait sa cinquantième année ; mais, grâce à sa taille svelte, à sa tournure juvénile et surtout aux mystérieuses ressources qu’une femme, jadis fort jolie, fort galante et résolue de ne point vieillir, trouve dans les arcanes du cosmétique, madame San-Privato semblait, au plus, âgée de trente-huit à quarante ans. Ses cheveux, ses sourcils étaient d’un noir de jais ; une imperceptible couche de carmin animait ses joues ; enfin, ses lèvres, d’un rose beaucoup trop vif pour n’être pas emprunté, laissaient voir des dents d’une blancheur éclatante. Son sourire séducteur, son regard caressant, sa voix insinuante, vestiges indélébiles de ses anciennes habitudes de coquetterie, contrastaient parfois avec une sorte d’étourderie sénile, d’air évaporé, toujours malséant à son âge, rien n’étant plus déplaisant et plus ridicule qu’une vieille linotte avec son gazouillis chevrotant et ses caduques prétentions de gentillesse et de joliesse.

Albert San-Privato, âgé de vingt-quatre ans, de taille moyenne et frêle, de l’extérieur le plus distingué, affectait légèrement la roideur anglaise ; ses traits fins et purs, presque imberbes, d’une délicatesse féminine et d’une pâleur transparente, étaient ravissants ; ses yeux, d’un brun velouté, hardis et pénétrants, se frangeaient de longs cils, plus foncés que sa chevelure châtain clair, naturellement ondée ; son sourire spirituel et imperceptiblement sardonique, son menton fermement accusé, son port de tête un peu altier, familier à ceux qui, selon le terme consacré, regardent de haut, et surtout son regard profond, tempéraient ce que l’on pouvait reprocher de trop joli aux traits d’Albert San-Privato. Vêtu avec une élégance du meilleur goût, irréprochablement chaussé, selon que le voulait la saison d’été, de bas de soie blancs écrus et de souliers vernis qui mettaient en valeur la petitesse de son pied, que plus d’une femme eût enviée, le jeune diplomate, parfumé,