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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/539

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ils économisent donc environ annuellement quarante-cinq mille francs sur leurs revenus, économies énormes. Or, y a-t-il de ma part exagération à leur demander trente mille francs sur ces quarante-cinq mille qu’ils économisent, dont ils n’usent pas, et qui leur sont complétement inutiles ? Mais j’entends mon père me répondre :

« — Ces économies qu’il nous plaît de faire, vous en profiterez un jour.

« — D’accord ; ainsi, mon père, vous en convenez vous-même, ces économies me sont destinées, elles m’appartiendront un jour ?

« — Oui, mon fils.

« — En ce cas, que vous importe, mon père, de m’en accorder la jouissance, maintenant que je suis dans l’âge des plaisirs ?

« — Mon fils, je n’ai rien à vous répondre, sinon qu’il ne me convient point de vous donner trente mille francs par an, afin d’entretenir votre fainéantise à Paris. Votre mère et moi, nous disposons de notre bien comme nous l’entendons. Nous ne vous donnerons pas un centime, si vous vous obstinez à rester ici malgré nos ordres.

« — Mon père, est-ce là votre dernier mot ?

« — Oui, mon fils.

« — Voici le mien : je suis majeur, la loi m’a émancipé, elle ne reconnaît plus votre autorité sur moi ; vous n’avez donc aucunement le droit de m’obliger de retourner avec vous dans le Jura. Vous commettez une iniquité en voulant m’y contraindre, en me prenant, ainsi que l’on dit, par la famine, c’est-à-dire en me menaçant de me laisser à Paris sans un sou. Vous pouvez exécuter votre menace ; mais de ses conséquences vous serez responsable envers moi et envers vous-même.

« — Si vous entendez parler des dettes que vous contracterez, mon fils, je vous déclare que je ne les payerai point.

« — Pardon, mon père, il faudra toujours qu’elles soient payées tôt ou tard.

« — Après ma mort, voulez-vous dire ? Ainsi, vous la désirez, fils indigne !

« — Ne me prêtez pas, mon père, une si noire pensée ; vous m’avez, tout à l’heure, dit vous-même qu’après vous vos biens me reviendraient. Il m’est donc permis de vous faire observer qu’un jour je payerai mes dettes en honnête homme ; seulement, il dépend de vous de m’épargner la nécessité de contracter des emprunts ruineux en m’accordant de quoi suffire honorablement à mes besoins.