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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/551

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— Dis, mon enfant, jamais paroles plus clémentes, plus tendres ont-elles été prononcées par une mère expirante ?

— Oh ! non… non… jamais ! — répondit Maurice cachant hypocritement son visage entre ses mains, car ses larmes ne coulaient plus.

Et déjà il cherchait par quel moyen ambigu il pourrait sortir de la position difficile où il allait se trouver vis-à-vis de son père.

— Ta mère connaissait ton cœur, mon enfant ; tu ne trompes pas ses suprêmes espérances, béni soit Dieu ! — reprend M. Dumirail persuadé de l’influence irrésistible du dernier vœu de sa femme sur son fils. — Mais écoute encore, et vois à quel point cet ange de bonté se préoccupait des regrets qu’elle nous laissait ; avec quelle touchante sollicitude elle s’efforçait d’adoucir leur amertume, en espérant nous faire presque illusion sur son absence, hélas ! éternelle… Écoute : « Je désire, a repris ta mère, je désire que ma chambre à coucher et mon petit salon restent absolument comme ils sont restés le jour de mon départ du Morillon… et je vous demande, à toi et à Maurice, de vous rendre chaque jour, pendant une heure, dans mon appartement… Il me semble qu’ainsi vous me croirez toujours près de vous. »

— Chère et excellente mère !… combien cette pensée est en effet touchante ! dit Maurice avec un redoublement d’hypocrisie, cachant toujours sa figure dans son mouchoir et feignant de pleurer ; — elle voulait pour ainsi dire se survivre à elle-même, et que son souvenir, ainsi chaque jour évoqué, valût presque pour nous sa présence si regrettée !

— Cher enfant, tes paroles me prouvent, ce dont je ne doutais pas, combien tu es digne de répondre au désir de ta mère !… reprend M. Dumirail, complétement dupe de la dissimulation de son fils. — Ah ! du moins, nous justifierons les espérances de ma pauvre Julie ; nous ne nous quitterons plus désormais : ta jeunesse, ton affection filiale si tendre, si dévouée, seront l’appui de ma vieillesse, terriblement frappée par le coup dont nous gémissons tous deux. Oui… crois-moi, je suis frappé là, au cœur ! Je le sens, c’est une plaie incurable. Elle saignera toujours ; aussi, vois-tu, mon pauvre enfant, si je ne t’avais pas, si je ne me rattachais pas à toi de toutes les forces qui soutiennent ma triste vie, je te le jure, je ne survivrais pas, non… je ne voudrais pas ; non… je ne voudrais pas survivre à ma pauvre Julie, et je…

M. Dumirail ne peut achever. L’émotion, les sanglots le suf-