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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/616

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— Ah ! c’en est trop ! un pareil tableau est révoltant ! s’écriera peut-être le lecteur.

— C’en est trop ? Non ! ce n’est pas trop ! non, ce tableau révoltant n’a rien d’exagéré ; il faut qu’il révolte, il faut qu’il soulève de dégoût et d’horreur, afin que le but moral que nous poursuivons dans notre œuvre soit atteint ! Oui, nous serions logique en montrant Maurice descendant les derniers degrés de l’échelle d’infamie, à mesure que les mesdames Thibaut et autres se lasseront de lui. Et, d’ailleurs, d’où naîtrait donc le scrupule qui nous ferait reculer devant de pareils tableaux, au lieu de les flétrir avec l’énergique indignation de l’homme de bien ? Non ! aux yeux de l’éternelle vérité, de l’éternelle justice, s’il est entre ces diverses infamies une énorme distance sociale, il n’existe entre elles aucune différence morale ; elles sont sœurs, elles se lient étroitement l’une à l’autre, elles s’enchaînent par une dégradation successive, depuis la Montespan ou la du Barry, lubriquement étalées sur le velours fleurdelisé d’or, jusqu’à la hideuse créature qui frissonne sous ses haillons, embusquée dans l’ombre de son repaire, d’où elle appelle les passants. Oui ! elles se tiennent, ces infamies, elles se tiennent par un commun enchaînement d’opprobre, depuis les Potemkins et autres favoris rehaussés de titres, chamarrés de cordons et triomphants dans leur opulente prostitution, jusqu’à l’homme à la voix avinée, aux larges épaules, qui, le brûle-gueule aux dents, sort de son estaminet à l’appel éploré de la misérable fille que l’on éreinte et qui le paye pour la défendre ! Et voilà pourquoi nous disons que Maurice Dumirail, notre fils de famille, a encore logiquement à descendre bien des degrés de cette échelle qui plonge dans les bas-fonds du vice et du crime. Il en est de même de son acte de fausseté, premier pas hasardé dans la voie du crime, filouterie excusable, mieux que cela, légitime au point de vue de Maurice, en cela qu’après tout, il espérait filouter qui l’avait filouté, s’en tenant encore à la maxime biblique « Œil pour œil, dent pour dent. » Il avait été, sous prétexte d’une spéculation imaginaire, dépouillé d’environ cent mille francs par la Hansfeld ; il comptait, à l’aide d’une lettre imaginaire, récupérer modestement la moitié de la somme à lui larronnée. — Cela dit, afin de convaincre nos lecteurs que, loin d’exagérer la précipitation de la chute de Maurice, nous l’avons modérée, puisqu’il devait logiquement tomber plus bas encore, poursuivons notre récit.

Le lendemain du jour où il avait écrit à M. d’Otremont afin de lui emprunter cent louis, Maurice Dumirail se promenait avec agi-