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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/663

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ma plus douce espérance ?… Passer mes jours près de toi et prier Dieu de ne pas nous faire survivre l’un à l’autre ?

— Hélas ! Jeane, il n’a dépendu que de nous, que de moi surtout, de réaliser ce rêve d’or.

— Plus de regrets, Maurice ; plus de regrets, mon fiancé ; nous finirons nos jours ensemble !

— Jeane, que signifie… ?

— Nous ne nous survivrons pas l’un à l’autre, mon bien-aimé ; car, si, demain, tu quittes volontairement cette terre, tu ne partiras pas seul.

— Grand Dieu ! que dis-tu ?

— La vérité, Maurice.

— Mais non, je m’abuse…

— Tu ne t’abuses pas.

— Quoi ! tu voudrais… ?

— Ainsi que toi, Maurice, j’ai à expier un passé odieux ; ainsi que toi, j’ai à me soustraire à un avenir redoutable ; mais, ainsi que toi, je n’ai ni le courage ni la volonté de la réhabilitation par la vertu. Je n’ai que ma vie à donner au monde en expiation, je la donne.

— Jeane, c’est impossible ; toi, toi, si jeune, si belle encore, mourir, volontairement mourir ? Non, non !

— C’est afin de mettre ce projet à exécution que je suis revenue de Florence à Paris.

— Quoi ! pour mourir ?

— Mourir avec toi, Maurice…

— Mon Dieu, suis-je donc le jouet d’un rêve ?

— Je prévoyais ta ruine et sa conséquence naturelle, ta dégradation presque certaine ; mais j’espérais aussi que tout noble sentiment ne serait pas étouffé en toi. Si cependant tu avais déçu mon dernier espoir, je me rendais seule auprès de mon père, je l’embrassais, et c’était fini de moi ; car je tenais, car je tiens à mourir en ces lieux témoins de notre amour et de notre heureuse jeunesse.

— Non, non, je ne pourrai jamais croire…

— Ne t’ai-je pas dit que j’étais lasse, lasse d’une existence désormais sans but ? Ne t’ai-je pas dit que, moralement, j’étais déjà morte ?… Pour qui donc resterais-je sur cette terre maudite, en proie que je suis à un désenchantement incurable, au profond dégoût de moi-même et des autres ?

— Mais ton père, ton père !… tu l’aimes tendrement, et ta mort…