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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/687

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— Ton accent, l’expression presque solennelle de tes traits, tout me persuade que tu me dis vrai, Jeane ; cependant, malgré moi, je doute encore.

— Je dis vrai, j’en atteste la mémoire de ma mère !

— Cette preuve, que tu dois me donner demain, Jeane, pourquoi ne pas me la donner aujourd’hui ?

— La nuit s’avance, bon père ; les émotions de cette soirée t’ont vivement impressionné. Je me sens moi-même accablée de fatigue ; permets que nous remettions à demain la suite de cet entretien.

— Mais cette preuve, cette preuve que tu me dis qui m’allégerait d’un si grand poids, ne peux-tu pas en quelques mots me la donner ?

— La preuve doit être non verbale, mais matérielle, mon père ; demain, le messager de Nantua te l’apportera…

— Le messager de Nantua ?

— Oui ; nous avons laissé, Maurice et moi, nos bagages dans cette ville. Le soleil était radieux. Malgré le froid, nous avons trouvé un charme mélancolique à parcourir à pied le trajet de Nantua ici, en traversant ces sites qui nous rappelaient les belles et riantes années de notre première jeunesse.

— Ainsi, cette preuve que tu dis et qui doit me rassurer complétement sur ton avenir ?…

— Tu l’auras demain, bon père, à l’arrivée du messager de Nantua.

— Tes paroles mystérieuses m’inquiètent, et cependant il me faut te croire, tu as attesté la mémoire sacrée de ta mère.

— Et devant toi, en ce moment suprême, je l’atteste encore, mon père. Que je sois frappée de ta malédiction, si je t’abuse. Non, ma destinée ne doit plus te causer d’alarmes.

Au moment où Jeane prononçait ces mots avec un accent dont Delmare fut profondément frappé, Maurice et Geneviève rentraient dans le salon.

— Allons, mon fieu, — dit la nourrice, — après une soirée pareille à celle d’aujourd’hui, tu as besoin de repos. Il est bientôt une heure du matin ; et, comme tu te réveilleras dès l’aube afin d’embrasser ta Jeane, il faut te coucher, prendre des forces pour ton bonheur ; n’est-ce pas, monsieur Maurice ? n’est-ce pas, mademoiselle Jeane ? Mais où ai-je la tête ? je vous appelle mademoiselle, comme autrefois. Enfin, c’est égal, joignez-vous à moi pour obtenir de mon Charles qu’il aille se reposer, sinon vous verrez que, demain, il sera si brisé, qu’il n’aura plus la force de se lever.