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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/688

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Jeane, malgré son empire sur elle-même, souffrait cruellement, songeant à l’erreur où elle laissait son père ; aussi se joignait-elle à Maurice et à Geneviève, afin d’obtenir de Delmare qu’il cherchât quelque repos dans le sommeil. Il y consentit, faisant néanmoins allusion aux vagues pressentiments qui l’agitaient toujours, malgré sa conversation avec Jeane. Il se trouva si affaibli, qu’il eut besoin des bras de sa fille et de Maurice pour se soulever de son fauteuil et regagner sa chambre, où sa nourrice l’aida à se mettre au lit, après qu’il eut tendrement embrassé ceux qu’il appelait ses enfants.

Maurice se coucha tout habillé sur le canapé du salon. Jeane, sans vouloir non plus quitter ses vêtements, se jeta sur le lit de Geneviève, et celle-ci transporta dans la cuisine l’un des fauteuils du salon, assurant que ce siége vaudrait son lit. Bientôt, le plus profond silence régna dans la maison de Delmare.


XXXV

Nous rappelons au lecteur le souvenir du paysage où se sont passées les premières scènes de ce récit, lors de la récolte des foins des plateaux de Tréserve, l’un des points culminants du Jura. Mais ce paysage, au lieu d’être paré des verdoyantes couleurs de l’été, disparaissait alors sous un immense linceul de neige durcie par la gelée. Le froid est très-vif ; le ciel, clair et bleu, se colore à l’orient des premières rougeurs de l’aube ; à l’extrême horizon se dessine, dans la pénombre crépusculaire, la masse bleuâtre du mont Blanc, derrière lequel le soleil va se lever bientôt. Jeane et Maurice, profitant du sommeil de leurs hôtes, ont, avant le point du jour, quitté furtivement la maison de Charles Delmare, située à quelque distance et à mi-côte de la rampe au sommet de laquelle s’élèvent les corps de logis du domaine du Morillon, transformé en ferme-école par M. Dumirail ; son tombeau a été placé dans une chapelle rustique, au centre