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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/689

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des bâtiments d’exploitation ; devant cette tombe, Maurice et Jeane se sont pieusement agenouillés, étant arrivés au Morillon alors que tous les habitants dormaient encore. Puis, les deux jeunes gens, calmes, recueillis, laissant derrière et au-dessous d’eux la ferme-école, ont gravi d’un pas lent et assuré, en se tenant par la main, le chemin sinueux qui, du Morillon, conduisait au chalet de Tréserve. Soudain, le soleil apparaît au-dessus du mont Blanc ; son dôme devient d’un rose vif, presque vermeil, ainsi que les cimes dentelées des glaciers les plus élevés ; les montagnes secondaires se colorent à leur tour ; puis, enfin, les coteaux, la plaine couverte de neige, se nuancent aussi de reflets roses et vermeils coupés par de grandes ombres. Enfin, le soleil, s’élevant au-dessus du faîte du mont Blanc, cette immensité redevient d’une blancheur uniforme, dont il est impossible de rendre la grandeur imposante et triste. Jeane et Maurice, frappés de la majesté de ce spectacle, s’arrêtèrent au pied d’une croix élevée à mi-chemin de la route conduisant du Morillon au chalet de Tréserve, et d’où l’on embrasse le vaste horizon dont nous avons tenté de donner une esquisse. Ils distinguent parfaitement, au loin et au-dessous d’eux, la maison isolée de Delmare, et, à mi-côte de la rampe, les bâtiments de la ferme-école.

— Maurice, — dit Jeane en s’arrêtant, — donnons un dernier regard d’adieu à la maison paternelle, riante retraite où se sont écoulées, dans la paix, le bonheur et l’innocence, les premières années de notre jeunesse.

Mais, s’interrompant, la jeune femme ajoute avec un geste indicatif : — Maurice, vois-tu, là-bas, là-bas, sur la route de Nantua, cette voiture escortée de cavaliers ?…

— Je les vois ; ces cavaliers sont des gendarmes ; ils se dirigent vers la maison de ton père ; des gens de justice sont sans doute dans la voiture. Nous sommes partis à temps : on est à ma recherche…

— Regarde, regarde ! ils entrent dans l’avenue des noyers qui conduit au petit jardin. Ah ! quel réveil pour mon pauvre père ! Épuisé par les émotions de la veille, il dormait profondément ce matin, lorsque, avant le point du jour, j’ai doucement pénétré dans sa chambre, à la lueur tremblante de sa veilleuse ; j’ai à deux reprises baisé son front. En ce moment, il rêvait à moi, ses lèvres murmuraient mon nom.

— Jeane, il ne nous survivra pas ; songe à son désespoir, lorsqu’il recevra, vers midi, la lettre que nous avons mise à la poste de Nantua, lors de notre passage dans cette ville.