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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/73

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que tu m’aimes, ai-je dit à Jeane, allons à l’instant demander à mon père et à ma mère de consentir à notre mariage et d’en fixer l’époque… — Pourquoi ne pas attendre à demain ?… Ton père et ta mère sont endormis, m’a répondu Jeane. — Ne crains rien, nous les réveillerons… Ils nous excuseront en faveur du motif qui nous amène ; et puis, vois-tu, Jeane, — ai-je ajouté, — j’ai en ce moment le cœur navré cruellement, et il me semble qu’il s’épanouirait soudain, si mon père et ma mère nous disaient : « Vous vous aimez, mes enfants, nous consentons à votre mariage… »

— « Et moi aussi, j’ai eu le cœur navré… tourmenté, ai-je répondu à Maurice, — reprit Jeane s’adressant à M. et madame Dumirail, de plus en plus attentifs à ces aveux candides. — Il me semble… et ne me demande pas la cause de cette impression… elle est pour moi-même inexplicable… il me semble, en cet instant, qu’un malheur nous menace… et que nous n’aurions plus rien à craindre, si nous devions être unis l’un à l’autre ! Aussi, maintenant, je dis, ainsi que toi, Maurice : Allons trouver nos parents plutôt ce soir que demain… » Voilà pourquoi nous sommes venus vers vous, à une heure si avancée de la soirée, mon bon oncle, ma bonne tante. Grâce à vous, ainsi que le prévoyait Maurice… notre cœur contristé s’est épanoui… — Ah ! — reprit Jeane dans un ravissement ingénu, ― je ne demanderai jamais au ciel de félicité plus grande que celle dont je jouis en ce moment.

— Oh ! ma bonne mère, — ajouta Maurice, — à cette heure où mon âme nage dans la joie, je me demande comment j’ai pu, ce soir, me livrer à d’amers, à d’injustes ressentiments ! De quel vertige étais-je donc possédé ? Pauvre Albert ! s’il était là… ce n’est plus en lui montrant un poing menaçant, mais en lui tendant cordialement la main, que je lui dirais : « Ami, à toi l’éblouissement des fêtes de cour, à toi les faveurs royales, juste récompense de ton mérite, brillant diplomate, et à moi, laboureur, l’éblouissement des fêtes de la nature ; à moi les faveurs de l’amour, récompense de l’amour ! Va, frère, nous n’avons rien à nous envier l’un à l’autre ! Réjouis-toi de mon bonheur comme je me réjouis du tien ! »

― Chers et dignes enfants, — reprit madame Dumirail radieuse et complétement rassurée par les paroles de son fils, ― plus que jamais, nous nous félicitons, et pour vous et pour nous, d’avoir accédé à vos vœux.

— Et maintenant, mon ami, — dit M. Dumirail, — nous nous expliquons parfaitement la cause de ta soudaine résolution de venir, ce soir, nous demander la main de Jeane… Tu as instinc-