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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/88

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— Peut-être…

Puis, en suite d’un instant de réflexion, Albert ajoute :

— Dites-moi, ma mère, avez-vous encore bien présents à la mémoire les événements qui ont causé la mort de votre frère, Ernest Dumirail ?

— Sans doute… mais ce moyen de décider ton oncle à me prêter ?…

— Veuillez d’abord répondre à ma question.

— Eh bien ! mon malheureux frère Ernest a été tué en duel par l’amant de sa femme, un peintre allemand.

— Nommé Wagner, ce me semble ?

— Oui… Wagner…

— Il y a de cela combien de temps ?

— Dix-huit ans, l’âge de Jeane, puisqu’elle est une enfant posthume.

— Quant à ma tante Ernest, nous l’avons perdue… à quelle époque ? Précisez-le.

— Il y aura justement trois ans à la fin de ce mois. Je me le rappelle d’autant mieux qu’il m’a fallu prendre le deuil de ma belle-sœur au mois de juillet, ce qui m’a outrée, parce qu’il n’y a pas de toilette possible avec le noir en cette saison-là. L’hiver, c’est différent ; mais, en été, le deuil est intolérable à porter.

– Et voilà ce à quoi les gens qui trépassent ont, les égoïstes, l’impertinence de ne pas songer ! — reprit San-Privato avec sa froide ironie. — Ainsi, il y a trois ans que ma tante Ernest Dumirail est morte, et que Jeane est venue s’établir ici ?

— Sans doute.

— A-t-on toujours été bien persuadé, dans notre famille, que Jeane, enfant posthume, remarquez ceci, enfant posthume, soit véritablement la fille de feu M. Dumirail ?

— On a toujours cru qu’il en était ainsi.

— Avez-vous des détails précis sur ce peintre allemand, sur ce Wagner, qui a tué en duel M. Ernest Dumirail ? Cela, si je m’en souviens, se passait en Suisse ?

— À Lausanne, où ma belle-sœur habitait un cottage sur les bords du lac, tandis que mon frère visitait la Suisse en touriste. J’avais chargé d’une lettre pour lui M. de Bellerive ; il passait à Genève pour se rendre à Turin ; il n’a pas trouvé mon frère à Lausanne, mais il a vu ma belle-sœur. Sans doute, elle ne connaissait pas encore ce Wagner, car elle a parlé de son mari à M. de Bellerive avec la plus extrême affection ; aussi lui aurait-il alors donné, me disait-il depuis, le bon Dieu sans confession.