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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/123

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timbres de dix mille francs chacun, ce qui fait a cinquante mille francs… comprends-tu ?

— Oui, Monsieur… je demanderai cinq timbres de dix mille francs chacun, ce qui fait cinquante mille francs, — dis-je avec stupeur, car j’ignorais complétement alors l’existence du papier timbré, sa valeur relative, et je croyais avoir à rapporter réellement cinquante mille francs.

— Il est donc bien entendu, — reprit Balthazar, — que tu vas me rapporter tout de suite cinq timbres de dix mille francs chacun, et que tu les payeras ?

— Et avec quoi, Monsieur ? — m’écriai-je avec ébahissement.

— Comment ! avec quoi ? mais avec l’argent que je viens de te donner.

— Avec cela, Monsieur… — lui dis-je, — payer cinquante mille francs ?

— Oh ! innocence de l’âge d’or ! à simplicité antique !… — s’écria Balthazar ! — Ô Martin ! sans la gravité des circonstances, je te porterais moi-même en triomphe tout autour de cette chambre, en chantant tes louanges… en chœur… mais le temps manque… dépêche-toi… cours au bureau de tabac, demande cinq timbres de dix mille francs chacun, paye… et reviens…

Tout abasourdi, je descendis rapidement l’escalier, et j’arrivai chez le buraliste : c’était un vieux petit homme, à l’œil fin et pénétrant, au sourire narquois.

— Monsieur, — lui dis-je, — je voudrais avoir cinq timbres de dix mille francs chacun.

— Oh ! oh ! — me dit le buraliste en cherchant dans un mauvais carton un paquet de ces papiers qui me semblaient devoir être si précieux.

— Oh ! oh ! — reprit-il, — il paraît que nous avons affaire à de gros capitalistes… Voilà des gaillards qui n’y vont pas de main-morte… Cinquante mille francs ! ils font du papier comme s’il en pleuvait… Mais bah ! — ajouta-t-il d’un air paterne, — c’est de leur âge. Puis, regardant ma livrée neuve, il me dit d’un air railleur :

— Je parie que votre maître est jeune.