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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/196

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— Et depuis ce temps-là… qu’es-tu devenu ?… — lui demanda Basquine avec un touchant intérêt, — dis-le-nous, car pour moi, tu seras toujours mon frère comme Martin !… Dans quelque position que nous nous trouvions jamais tous trois, nous serons, oh !… j’en suis sûre… j’en atteste notre émotion de tout à l’heure et l’inaltérable souvenir que nous avons conservé les uns des autres… nous serons fidèles aux serments de notre enfance.

— Oh ! oui !… toujours !… — m’écriai-je, ainsi que Bamboche.

Et nous prîmes chacun une des mains de Basquine.

Après un moment de silence, je dis à Bamboche :

— Reprends ton récit… Après la disparition de Basquine, qu’es-tu devenu ?

— J’ai d’abord cru que j’allais devenir fou, tant son départ m’exaspéra… Je l’aimais, vois-tu, Martin, comme je n’ai jamais aimé ni n’aimerai jamais… La preuve… c’est que pour elle… je m’étais senti des délicatesses qui me vont… comme des souliers de satin à un bœuf… car, au lieu de travailler comme un enragé pour faire aller notre petit ménage… quand j’ai eu rencontré Basquine, j’aurais pu retourner chez ma veuve et lui soutirer d’un coup plus d’argent que je n’en ai gagné en me carnageant, pour nous faire vivre nous deux Basquine, tant qu’elle est restée avec moi. Eh bien ! non… faire manger à Basquine le pain de ma veuve… ça ne m’allait pas, et pour tout autre que Basquine ça ne m’aurait-il pas été comme un gant ? Quand je te dis, Martin, qu’après toi et elle il faut tirer l’échelle aux bons sentiments.

— Avoue du moins, — lui dis-je, — qu’il est déjà grand et beau de voir notre affection mutuelle nous imposer des sentiments pareils… si restreints qu’ils soient ?

— Pour restreints, ils le sont, je t’en réponds ; aussi après le départ de Basquine, j’ai repris ma volée… d’oiseau de nuit ou de proie… Vers ce temps-là, je rencontrai la Levrasse. — Ah ! vieux gueux ! — lui dis-je, — tu es donc toujours en vie ? — Ah ! grand brigand, — me répondit-il, — tu as donc voulu me faire cuire en daube dans ma voiture ? — Et toi tu as donc été assez coriace pour ne pas vouloir cuire ? Ça ne m’étonne pas ; mais la mère Major ? — Elle était plus