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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/197

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tendre, elle… tu le sais bien, mauvais garnement, — ne répondit la Levrasse. — Elle a parfaitement cuit.

— Ah ! mon Dieu, — m’écriai-je ; — et l’homme-poisson ? — car j’avais souvent songé à lui depuis notre séparation.

— C’est vrai, — dit Basquine. — Pauvre Léonidas ! il était aussi enfermé dans la voiture au moment où tu y as mis le feu. La Levrasse t’en a-t-il donné des nouvelles, Bamboche ?

— L’homme-poisson a échappé au court-bouillon, — m’a dit la Levrasse ; mais ce gredin de Poireau, le pitre, a été asphyxié. C’est toujours çà, — reprit Bamboche, et il continua : — La Levrasse était déjà établi marchand de jouets d’enfants passage Bourg-l’Abbé ; mais il faisait, disait-il, par délassement la banque… vieux banquiste ! Il s’y connaît. Allons, — lui dis-je, — je te pardonne ; tu n’as eu qu’une joue de rissolée, c’est mesquin, n’y pensons plus. — Ah ! tu me pardonnes ? À la bonne heure, — me répondit la Levrasse, — et pour te prouver que je suis sensible à ta clémence, je t’invite à dîner demain, nous causerons. — Je n’eus garde de manquer au rendez-vous ; le vieux brigand m’étudia, m’observa, me fit jaser, et, au dessert, entre la poire et le fromage, il me dit : — Écoute, je fais la banque, et, comme banquier, j’achète souvent, pour un morceau de pain, des créances très-légalement exigibles, mais difficiles à recouvrer, tantôt parce que les créanciers ont filé en pays étranger, tantôt parce que les compères trouvent moyen de mettre leurs biens à couvert… Jusqu’ici, faute d’un associé intelligent, je n’ai pas tiré tout le parti possible de ces affaires, il y aurait pourtant de l’or en barre à gagner. Tiens, un exemple entre plusieurs : J’ai acheté quinze mille francs une créance de soixante-douze mille et tant de livres sur un M. Rondeau ; il a de quoi payer largement : il possède six à sept cent mille francs, réalisés, avec lesquels il a filé en Angleterre, où le gaillard mène grande et joyeuse vie ; légalement je ne peux rien, car, dans ce cas, il n’y a pas d’extradition possible, mais, en employant la contrainte morale… — Comment ? — Suppose, mon ami Bamboche, que je te fasse don de ma créance, bien valable, bien en règle, à toi qui es sans le sou ? Qu’est-ce que tu ferais, sachant que de l’autre côté du détroit il y a un compère qui a