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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/267

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— Permettez… Monsieur, pourquoi ces confidences ?

— Monsieur le docteur… ma fille est charmante… soit dit sans aveuglement paternel, et de plus elle a été élevée comme doit l’être une excessivement riche héritière…

— Mon fils aime votre fille, Monsieur ? Est-ce cela ?

— Je l’espère, Monsieur le docteur, car je crois que ma fille a trouvé M. votre fils de son goût durant le séjour qu’il a fait chez moi. Elle ne m’a fait aucune confidence… mais vous savez… un père qui idolâtre sa fille est clairvoyant… Enfin, Monsieur, pour parler net, je donne à ma fille, en la mariant, une terre évaluée cinq millions et qui rapporte cent vingt-quatre mille livres de rentes en bons fermages notariés… payés rubis sur l’ongle. Le reste de ma fortune appartiendra à nos enfants… après ma mort. Vous le voyez, je m’exécute paternellement… je vais rondement en affaires. J’espère qu’à votre tour, vous m’imiterez, Monsieur le docteur, car le bruit public, et, s’il faut vous le dire, les informations que j’ai prises, vous attribuent une fortune au moins égale à la mienne…

Après un moment de silence, mon maître reprit :

— Un mot d’abord, Monsieur ; je ne crois pas que mon fils soit instruit de votre démarche… car il m’en eût parlé.

— Votre fils, Monsieur le docteur, ignore ma démarche et ma fille l’ignore aussi. M. le capitaine Just a été appelé à vingt lieues d’Évreux pour d’autres travaux, nous nous sommes fait des adieux pleins de cordialité… mais pas un mot de mariage n’a été échangé entre nous. C’est après le départ de M. votre fils que, voyant ma fille toute pensive, assez triste, je me suis rappelé certaines circonstances, et j’ai supposé… ou plutôt deviné qu’il y avait de l’amour sous jeu. Or, comme ce mariage réunirait toutes les convenances de position, d’âge, de caractère et de fortune… de fortune surtout…

— De fortune… surtout ? — dit mon maître en interrompant M. Dufour, — vous croyez ?

— Parbleu ! Monsieur le docteur, vous sentez bien que si Monsieur votre fils, malgré toutes ses qualités, ses talents charmants et sa jolie figure, n’avait que la cape et l’épée… je ne viendrais pas…

— Monsieur, — dit mon maître en interrompant encore M. Du-