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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/58

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probité ; depuis que je l’emploie, il n’a jamais manqué un liard, un centime… aux comptes qu’il me rend…

— J’en suis certain, — répondit Robert en riant, — et comme ses fonctions de garçon de recettes doivent lui laisser assez de loisirs, tu me permettras de le charger d’une commission.

— Je t’y autorise, Robert.

— D’abord donne-moi ce qu’il faut pour écrire.

— Tu sais bien, Robert, qu’il y a deux classes d’êtres privilégiés chez lesquels on trouve toujours des plumes tortillées en manière de cors de chasse et de l’encre à l’état de saumure. Ces deux classes d’hommes sont les portiers et les poëtes. Or, comme poëte, voilà tout ce que Je peux faire pour toi…

Et, d’un geste, Balthazar indiqua à son ami un pot à pommade, au fond duquel croupissait une sorte de limon noirâtre… Telle était l’épaisse viscosité de cette chose, qu’une plume ébarbée, rongée, s’y trouvait encore plantée.

— Maintenant, du papier… — dit Robert de Mareuil, en cherchant en vain ce qu’il demandait sur la table du poëte, et où se trouvaient en revanche une pantoufle, une carafe, une paire de pincettes et une redingote ; enfin, après de laborieuses recherches, les deux amis finirent par trouver une feuille de papier présentable ; l’encre fut convenablement délayée, le comte Robert de Mareuil se fit une place à l’un des bouts de la table si étrangement encombrée et se mit à écrire, tout en disant à son ami :

— Après tout, je ne sais pas trop si cette lettre me servira à grand chose…

— D’abord, à qui écris-tu ?

— À mon cousin.

— Le baron de Noirlieu ?

— Lui-même…

— Et pourquoi ta lettre ne servirait-elle pas à grand chose ?

— On dit que le baron est devenu à peu près fou.

— Ah bah ! Et pourquoi ?

— De chagrin…

— Quel chagrin ?