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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/63

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Avant l’arrivée du comte Robert de Mareuil j’aurais refusé l’offre du poëte, et en attendant le retour de la belle saison, époque à laquelle j’espérais trouver du travail comme charpentier, j’aurais changé de rue, afin de n’être pas tenté de me charger de nouveau et sans salaire des commissions de Balthazar, car, malgré sa folle exaltation, son cœur était si bon, son caractère si généreux, que je l’aimais beaucoup ; mais la présence de Robert de Mareuil, un vague sentiment de crainte au sujet de Régina, m’engagèrent à accepter, momentanément du moins, cette proposition ; si faible que fût ce lien qui allait me rattacher à l’existence de Régina, Je le saisis, espérant pouvoir peut-être lui rendre quelque service à son insu, et continuer cette mission de dévouement obscur et inconnu d’elle, qui avait commencé par le culte du tombeau de sa mère…

Balthazar crut sans doute que je réfléchissais à sa proposition, car il me dit :

— Ne te presse par de me répondre, Martin… mais qu’une fois prise… ta résolution soit immuable…

Craignant d’inspirer des soupçons si j’acceptais trop vite, je répondis en hésitant :

— Mais, Monsieur, je ne sais pas si je pourrai… il faut tant de choses pour être bon domestique…

— Tu possèdes toutes les qualités requises : tu es surtout simple et naïf… oui, tu es de ceux à qui le royaume des cieux est promis, et qui auront un Jour une belle paire d’ailes blanches qui leur caressera les reins pendant l’éternité. Le diable me garde des Frontin ! des Scapin ! des Figaro ! Tu ne sais pas ce que je veux te dire avec ces noms-là ? Tu me regardes d’un air stupide, mon brave Martin… Tant mieux… voilà ce que j’aime… Tu n’as qu’un défaut… c’est de savoir lire… mais au moins tu ne sais pas écrire ?

— Pardon, Monsieur… un peu.

— Tant pis… mais on ne peut être parfait. D’ailleurs avec de la suite et de l’application, tu peux parvenir à désapprendre très-joliment… Voyons, est-ce dit ? veux-tu être notre domestique ?