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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/65

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Robert, qui poses la première pierre, — dit Balthazar en serrant cordialement la main de son ami.

Puis, se tournant vers moi, le poëte ajouta gravement :

— Il faudra t’enquérir pour demain soir, sans faute, d’une truelle d’argent et d’une augette en ébène, nécessaires à cette cérémonie… N’oublie pas cette commission, Martin.

— Non, Monsieur — répondis-je, avec ébahissement cette fois ; je croyais au palais.

Mais Robert de Mareuil, connaissant mieux que moi, sans doute, les écarts et les échappées d’imagination de son ami, lui dit avec le plus grand sans-froid :

— Soit… je poserai après-demain la première pierre de ton palais… mais…

— Faubourg Saint-Antoine ! — s’écria le poëte avec exaltation ; — je veux faire dériver la population de ce côté… l’ancien quartier seigneurial de Paris. J’aurai des imitateurs… Nous fonderons une capitale dans la capitale ; la capitale, c’est le pays ;… le pays, c’est la France ;… la France, c’est la tête de l’Europe… Je baptiserai ce nouveau quartier : Quartier de l’Europe !  !

— À la bonne heure, — dit Robert, craignant une nouvelle pointe de la vagabonde pensée du poëte, — tu bâtiras ton palais dans le faubourg Saint-Antoine,… mais je te rappellerai qu’il s’agit de cacheter ma lettre…

— Justement — dit Balthazar en haussant les épaules, et il déroula l’énorme feuille de papier, où se trouvait en effet le plan d’un splendide palais, entouré de jardins. Élévations, coupes, profils, rien n’y manquait. On y voyait aussi çà et là, ajoutées, de petites bandelettes de papier, soigneusement collées.

— Vois-tu ces bandelettes ? — dit Balthazar à son ami.

— Balthazar, il s’agit d’une lettre à cacheter ; je ne sors pas de là.

— Ces bandelettes sont des augmentations, des changements, que chaque jour j’ai apportés au plan primitif de mon palais… On écrit, on corrige un monument comme un poëme ; un palais, c’est un poëme de marbre et de bronze, voilà tout…