Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés III (1850).djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulu, par un sentiment d’équité, voir ce misérable livré à toutes les rigueurs des lois ; mais j’aurais cru me souiller en exerçant sur lui de violentes représailles, que ma jeunesse, ma force et ma résolution eussent rendues faciles.

Avant que la boutique fût éclairée, je m’étais tenu à l’écart et dans l’ombre, dans une espèce de renfoncement formé par la baie de la porte de l’arrière-boutique ; la Levrasse n’avait donc pas jusqu’alors remarqué ma présence ; aussi, à ma vue, il recula d’un pas, et dit à la vieille femme d’un air surpris et contrarié :

— D’où diable sort-il ? Il était donc là ? Et moi qui, tout à l’heure, me croyais en famille.

— Comment ! — reprit la vieille, — vous ne l’avez pas aperçu ? Moi, je croyais que vous le gardiez exprès pour la fin.

La Levrasse haussa les épaules, frappa du pied et me dit en m’examinant avec attention :

— Qui êtes-vous ? d’où venez-vous ? que voulez-vous ?

— Monsieur, je viens vous apporter une lettre de la part de M. le comte Robert de Mareuil.

À ce nom, une vive satisfaction se peignit sur les traits de la Levrasse, et il me dit :

— Donnez… donnez cette lettre… je m’attendais à la recevoir hier.

Après avoir lu la lettre que je lui donnai, et dont le contenu sembla lui plaire beaucoup, il me dit avec un accent d’extrême bienveillance :

— Mon garçon, vous direz à M. le comte Robert de Mareuil que j’aurai l’honneur d être chez lui demain matin sur les dix heures, ainsi qu’il le désire.

Puis la Levrasse m’ouvrit fort poliment la porte de la boutique en me répétant :

— Demain, à dix heures… ne l’oubliez pas, mon ami, je serai chez M. le comte Robert de Mareuil.

Je sortis de la boutique de la Levrasse avec de nouveaux et puissants motifs de réflexions, d’intérêt, de crainte et de curiosité ; j’étais presque certain que le capitaine dont avait parlé le cul-de-jatte était