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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/106

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tude est donnée à l’homme, suis-je certain que Régina sera heureuse avec Just ? »


3 février 18…

Ce que je viens de voir et d’apprendre bouleverse mes résolutions et me jette dans une incroyable perplexité.

Tantôt, sur le midi, ma maîtresse m’a remis une grande enveloppe cachetée et m’a dit :

— Portez cela à M. de Montbar… et vous attendrez.

Je me suis rendu à l’appartement du prince, assez éloigné de celui de sa femme ; n’ayant pas trouvé le vieux Louis dans une première pièce où il se tient d’ordinaire, et qui précède la bibliothèque, j’ai traversé cette grande salle ; il n’y avait personne encore, et j’ai frappé doucement à la porte du cabinet du prince, alors entrebâillée.

Entre… — m’a répondu la voix de M. de Montbar ; et sans réfléchir alors qu’il ne me tutoyait pas, j’ai poussé légèrement un des ventaux de la porte.

Par la disposition des lieux, je voyais le prince de profil, assis devant un bureau, le menton appuyé dans ses mains ; il semblait contempler avec une attention profonde et douloureuse un magnifique portrait de Régina, peint peu de temps après son mariage. L’expression de la figure du prince, sur laquelle je vis la trace de larmes récentes, était si désolée, si navrée, si touchante, que, tout d’abord, j’ai ressenti, malgré moi, autant d’intérêt que de pitié pour cet homme, dont je n’avais jamais soupçonné le malheur ; une pensée rapide comme l’éclair m’a traversé l’esprit… Sans doute le prince adorait toujours sa femme, et peut-être il cachait cet amour par orgueil.

Effrayé de l’espèce de secret que je venais de surprendre, j’ai seulement alors songé que le prince m’ayant dit : — Entre, — avait cru s’adresser à Louis, à qui il ne cachait sans doute aucune de ses impressions.

Heureusement j’étais resté sur le seuil de la porte entr’ouverte, et le prince était tellement absorbé, qu’il ne paraissait pas même s’apercevoir de ma présence.

Me reculant alors d’un pas en arrière, dans l’espoir de n’avoir pas été vu, je me suis retiré à l’abri de la porte entrebâillée et j’ai frappé de nouveau et plus fort.

— Mais entre donc… Louis, — m’a dit M. de Montbar.