Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Assez… — me dit durement M. de Montbar.

— Partez vite, Martin, et faites tout votre possible, — m’a dit la princesse avec bonté, trouvant sans doute le prince bien sévère pour moi ; — d’une façon ou d’une autre, revenez ici en toute hâte. Et je vous l’ai dit, prenez ma voiture.

— Oui, Madame la princesse.

— Et montez-y convenablement, — ajouta le prince.

Et comme je le regardais, ébahi de cette recommandation, il haussa les épaules et me tourna le dos.

À peine étais-je sortit du parloir, que j’entendis M. de Montbar dire à Régina, en parlant évidemment de moi :

— Mais il est stupide !

— Ce n’est pas un aigle… mais il est probe et zélé, — a répondu ma maîtresse.

La dureté du prince à mon égard n’avait pas été au delà des bornes d’une de ces réprimandes, un peu trop sévères peut-être, que l’on adresse journellement à mes pareils ; mais le cœur de l’homme est ainsi fait, ou plutôt l’habitude de la réflexion et de l’observation était portée chez moi à un tel point, que j’eus d’abord un vif ressentiment des hautaines paroles de M. de Montbar ; bien plus, d’un point de départ aussi puéril en apparence, j’arrivai d’induction en induction à me demander si le prince était vraiment digne de la généreuse commisération et de l’affectueux intérêt dont je lui avais donné tant de preuves pendant la nuit ; s’il méritait enfin le service immense que je lui avais rendu en lui confiant les papiers de famille qui avaient déjà eu tant d’influence sur ses relations avec la princesse.

Je me demandai cela, non pas parce que M. de Montbar m’avait traité durement et trouvé stupide, non pas parce qu’au moment de son entrevue avec Régina, entrevue capitale pour lui (ceci m’est alors aussi revenu à l’esprit), il avait pu songer à me reprocher rudement l’inconvenance de mon tablier du matin, mais parce qu’un homme aussi heureux que me semblait l’être M. de Montbar, après avoir entendu la princesse lui dire que le dévouement de sa vie entière ne suffirait pas à l’acquitter envers lui, devait, selon moi, dans un pareil moment, ne trouver, même pour ses serviteurs en faute, que des paroles d’indulgence, de bonté… car ceux-là chez qui le bonheur n’éveille pas de sentiments remplis de mansuétude, ceux-là ne sont pas complétement dignes d’être heureux.

En réfléchissant à ce jugement que je portais sur M. de Montbar,