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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/160

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je me demandai encore si, malgré moi, et à mon insu, je n’obéissais pas à un ressentiment d’amour-propre blessé, si ma susceptibilité n’aurait pas été irritée par la dure réprimande du prince.

En vain je me suis interrogé sévèrement à ce sujet : la dureté de M. de Montbar, en tant que symptôme et en m’isolant complétement, m’a laissé une impression mauvaise sur la bonté de son cœur.

 

Toutes ces pensées me sont venues en moins de temps qu’il ne m’en faut pour les écrire. Je descendais de ma chambre où j’étais allé me vétir convenablement (ainsi que disait le prince) pour me rendre chez M. de Noirlieu, lorsque je rencontrai le bon vieux Louis, tout joyeux de la joie que son maître n’avait pas sans doute cachée devant lui ; la rencontre venait à propos, car je me trouvais très-embarrassé au sujet de la recommandation du prince, qui m’avait dit de monter convenablement dans la voiture de sa femme.

— Monsieur Louis, — lui dis-je, — j’ai à vous demander vite un conseil.

— De quoi s’agit-il, mon cher ami ?

— Madame la princesse m’envoie chez son père avec une lettre si pressée, si importante, à ce qu’il paraît, que j’ai ordre de prendre la berline de Madame. Dois-je monter derrière, à côté du cocher ou dans la voiture ?…

— Dedans, mon cher ami, dedans, — me répondit le vieux Louis d’un air capable, — car vous n’êtes pas de livrée, vous êtes chargé d’une commission très-importante… C’est comme lorsque le prince m’a envoyé porter la corbeille de mariage chez mademoiselle de Noirlieu… je suis monté avec le coffret de diamants dans la berline attelée en gala. Mais, bien entendu, selon le respect que l’on doit à ses maîtres, je ne me suis assis que sur le devant de la berline, tandis que les autres présents suivaient dans le coupé aussi attelé en gala. C’est donc dedans, mon cher ami… qu’il faut monter.

— Merci, Monsieur Louis.

J’allais courir aux écuries, lorsque le formaliste vieillard me retint par le bras et me dit en paraissant attacher la plus grande importance à cette recommandation :

— Et surtout, je vous le répète, ne vous asseyez que sur le devant de la voiture ; sans cela vous prendriez une liberté impardonnable…

— Soyez tranquille, Monsieur Louis ; maintenant que vous m’avez averti, je suis incapable d’un pareil manque de respect.