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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/162

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le devant de cette voiture vide ; malgré mes préoccupations je n’ai pu m’empêcher de sourire en songeant au déploiement de toutes les formalités domestiques à propos de ma montée dans la voiture de la princesse, et, comme point de comparaison extrême, je me suis rappelé le docteur Clément, cet homme si grand par le cœur et par la pensée, ce millionnaire sublime, me faisant, au sortir de l’Hôtel-Dieu, asseoir à ses côtés dans son fiacre, et avec quelle respectueuse émotion je pris place près de fui.

Et c’est pourtant dans la minutieuse observance d’une foule de coutumes oiseuses, de distinctions puériles, dont j’avais fait l’apprentissage pendant mon séjour à l’hôtel de Montbar, que beaucoup de gens, et même de très-bons esprits, voient ce qu’ils appellent les bases de la hiérarchie sociale… les conditions indispensables du respect des petits envers les grands… C’est une grave erreur. J’ai mille fois entendu avec quelle suprême insolence, avec quelle satirique audace, il était parlé des maîtres les plus inexorables sur l’observance du code domestique, tandis que d’autres maîtres d’une affabilité familière, savaient pourtant, par le seul ascendant d’un noble et grand caractère, ou d’une haute valeur personnelle, imposer à leurs serviteurs des habitudes de déférence, de respect, absolument égales en la présence ou en l’absence du maître, d’où j’ai conclu encore, d’après mon expérience personnelle, que rien n’est plus faux que le fameux axiome :

Il n’est pas de héros ou de grand homme pour son valet de chambre.

De faux grand homme, de faux héros, soit ; mais la véritable grandeur d’âme ou d’esprit s’impose, au contraire, peut-être davantage encore dans l’intimité domestique. Je n’oublierai jamais avec quelle vénération touchante un simple et honnête garçon qui était au service de M. le vicomte de Chateaubriand, me parlait de cet homme illustre, aussi admirable par le cœur, par le caractère, que par le génie.

Mon Dieu ! quand nous parlons de M. le vicomte, — me disait ce digne garçon avec une naïveté charmante, — nous en parlons toujours comme s’il nous écoutait ! (Historique.) Hélas ! Mademoiselle Astarté traitait bien autrement son ministre et sa ministresse, qu’ils fussent là ou qu’ils n’y fussent pas.

C’est à dessein, et non sans lutte, que je m’appesentissais sur ces réflexions, sur ces souvenirs, pendant mon trajet de l’hôtel de Montbar chez M. de Noirlieu… Je voulais échapper à des pensées que je