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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/170

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— pourquoi ces larmes ? pourquoi ces craintes, Régina ?… Pourquoi m’avoir interrompu ?… Je vous le dis encore : ce n’est pas à vous seule d’acquitter cette dette sacrée envers celui à qui vous devez… le plus heureux, le plus beau jour peut-être de votre vie… Pourquoi donc, moi qui ai partagé vos joies, vos peines, ne partagerais-je pas aussi votre reconnaissance pour M. de Montbar ?

— Pourquoi ? — s’écria Régina, voyant avec frayeur combien Just se doutait peu de ce qu’elle avait à lui apprendre, — pourquoi ? parce qu’il est, hélas ! des choses que vous ne soupçonnez pas…

— De grâce… parlez… Régina.

— Depuis le retour de mon mari, vous le savez, ma position était devenue intolérable… dissimuler mon amour pour vous.. ; quand cet amour remplissait mon cœur… ma vie… je ne le pouvais plus… il m’est aussi impossible de cacher ce qui est vrai, que de dire ce qui est faux… Aussi j’ai franchement avoué à mon mari, qu’au point où en étaient venus mes rapports avec lui, depuis un an, une séparation sans bruit, sans scandale, ainsi qu’il convient à des gens comme nous, était nécessaire… inévitable.

— Ce projet nous en avions souvent causé… mais pourquoi ne m’avoir pas averti ?…

— Eh ! mon Dieu ! à quoi bon vous tourmenter de ces pénibles discussions ? Je ne voulais vous en parler que pour vous dire… Tout est arrangé… nous sommes libres…

— Cette séparation ? — dit Just sans cacher son anxiété, — il s’y refuse ?

— Il a été admirable de générosité, — reprit Régina avec accablement ; — il ne veut pas que la reconnaissance qu’il a droit d’attendre de moi influe en rien sur ma résolution de me séparer de lui… Si j’y persiste… demain il part pour l’Italie… et me rend ma liberté… se confiant, pour le ménagement des convenances, à ma délicatesse… à la vôtre, Just… il l’a dit…

— Cette conduite est digne et noble… je l’avoue, — dit Just avec émotion, — mais alors…

— Mais alors, n’est-ce pas, — s’écria Régina, — il est inexplicable que je ne vous dise pas : nous sommes libres, réalisons ce rêve… si beau… si éblouissant que nous osions à peine y arrêter les yeux ? qui nous retient ? mon mari me rend ma liberté… j’ai retrouvé la tendresse de mon père… la mémoire de ma mère est vengée… Just… mon bien aimé… je suis enfin à vous… à toujours… à tout jamais !!…