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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/172

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— Vous me le demandez ? — répondit Madame de Montbar avec une naïveté de sentiment inexprimable.

— Alors, — reprit Just presque tout bas et d’une voix palpitante de passion, — alors, pas de folle générosité… accepte la liberté que l’on t’offre… le bonheur ; … l’avenir est à nous… tout un long avenir d’amour… entends-tu, Régina ?… d’un amour non plus contenu par le devoir comme le nôtre à dû l’être jusqu’ici… mais d’un amour libre, ardent… fou !

— Oh ! ne me parlez pas ainsi… ne me regardez pas ainsi… vous me brisez, vous me rendez lâche… Hélas ! j’ai besoin de tout mon courage… quand je songe…

— Et moi, je ne veux pas que tu songes à autre chose qu’à notre amour… ma Régina…— dit Just, avec un redoublement d’ardeur. — Je veux qu’en attendant ce moment si prochain et si doux, tu trouves comme moi ton délice et ton tourment dans cette pensée enivrante… bientôt nous serons libres

— Assez !… oh ! assez… Ayez donc pitié de moi, — murmura la princesse.

Just, impitoyable, continua d’une voix à la fois si tendre, si pénétrante, que, malgré moi, je tressaillis encore de jalousie et de douleur :

— N’est-ce pas ? ma Régina… tu comprends… tu sens tout ce qu’il y a dans ces mots : nous sommes libres ?… Libres… c’est être près de toi… là… toujours là… mon ange adoré… libres !  ! c’est cette vie d’amour… d’art, de poésie, de noble travail, d’actions généreuses, de douce obscurité, que nous avons tant rêvée… car tu sais… nous le disions : dans l’amour tout se trouve… depuis l’embrasement des sens, jusqu’aux plus suaves, aux plus nobles jouissances de l’âme… de l’esprit et du cœur… libres… mon ange, c’est la vie avec toi, à toi, pour toi… par toi… libres… c’est pouvoir à chaque instant du jour baiser tes mains, ton cou, tes yeux, tes cheveux…

— Oh ! tais-toi… tais-toi… tu me brûles… — balbutia Régina d’une voix expirante. — Tais-toi…

Et il me sembla que, mettant sa main suppliante sur les lèvres de Just, elle tâchait d’étouffer ainsi les paroles de son amant.

— Eh bien ! non, non… je ne te parlerai plus de cela… — reprit Just d’une voix aussi tremblante, aussi basse que celle de Régina, — non… je ne parlerai plus de cela… car moi aussi… cela me dévore… cela me tue… Eh bien !… quand nous serons libres… après ces vo-