Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quoi qu’il arrive de cette épreuve… il en adviendra le bien, comme disait mon père.

— Le bien ?

— Ou vous m’aimerez toujours, Régina, et cette épreuve aura, par sa générosité même, affermi, consacré notre amour, ou… votre mari aura regagné votre cœur… et votre bonheur… le sien… seront assurés…

— Mais vous… mon Dieu ! mais vous ?

— Ma part sera belle encore, Régina… oui… belle grande… et consolante. Ce bonheur dont vous jouirez, lui et vous… n’y aurai-je pas contribué par mon sacrifice ? N’est-ce donc rien que cela ?

— Et moi ! — s’écria Régina, cédant à une nouvelle angoisse à la pensée de perdre l’amour de Just, — Et moi, je ne veux plus de cette épreuve, je vous dis qu’elle m’épouvante : je me suis crue forte, généreuse, eh bien ! je ne le suis pas… voilà tout. Mon mari m’offre ma liberté… j’accepte ! Et, d’ailleurs, n’avez-vous pas fait pour moi autant que lui ? n’avez-vous pas été blessé pour moi, dans un duel terrible où vous m’avez sauvé l’honneur… la vie… car je me serais tuée si j’avais été victime de l’infâme dont vous m’avez vengée…

— Régina… écoutez-moi…

— Non, non, — s’écria la princesse avec un redoublement d’exaltation. — Après tout, je t’aime… toi… je n’aime que toi ; tu es la seule espérance qui me reste au monde… Tu es venu à moi quand j’étais si malheureuse… Tu m’as consolée ; sans toi, je serais morte… Je ne veux pas risquer de te perdre à présent ! Il ne faut pas être égoïste, dis-tu… Je le veux bien… Mais il ne faut pourtant pas non plus se suicider, quand votre mort ne sert à personne.

— Régina… je vous en conjure…

— Je me connais bien… peut-être… Je te dis qu’il me sera impossible d’aimer mon mari maintenant… Je prendrai tout sur moi… C’est à moi qu’il offre la liberté… ce sera moi seule qui accepterai.

— Je vous en conjure…

— N’attends jamais cela de moi ; tu diras, si tu veux, que je suis lâche, égoïste, impitoyable… Eh bien ! il faudra que tu m’aimes ainsi… Tant pis… chacun pour son cœur… tu l’as dit… et…

Un violent coup de sonnette ayant retenti à la porte extérieure de l’appartement de la princesse, je ne pus entendre ses dernières paroles. Je courus ouvrir. C’était M. de Noirlieu, père de Régina.