Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Son père me disait parfois :

« — Vous êtes excellent pour ma fille ; elle est remplie d’affection pour vous ; votre position se dessine, grandit de jour en jour, et pourtant ces pressentiments de père, qui trompent rarement, me disent qu’il y a quelque chose entre vous. »

« J’ai dû rassurer M. de Noirlieu, et j’ai, je crois, en partie réussi.

« Tel était l’état des choses, mon ami, lors de ma dernière lettre.

« Si je vous rappelle ces faits, c’est qu’en vous écrivant aujourd’hui, j’ai eu besoin de me les rappeler à moi-même, afin d’embrasser d’un seul coup d’œil ma position présente et passée.

« Par une de ces idées qui ne peuvent venir qu’aux sots aveuglés par une fatuité stupide ou aux gens désespérés qui, comme moi, se rattachent à la plus folle espérance, ou plutôt se créent à eux-mêmes de folles espérances, je m’imaginai un jour que la préoccupation, que la tristesse de Régina, que l’altération croissante de sa santé étaient causées par l’embarras, par l’espèce de honte qu’elle éprouvait à m’avouer que mon amour, si dédaigné d’abord, regagnait chaque jour dans son cœur la place que j’y avais perdue.

« Selon moi, se joignait à cette transformation des sentiments de Régina une généreuse compassion pour Just, qu’elle me sacrifiait ainsi ; compassion suivie de regrets, de remords même… mais qui cédait au réveil passionné du premier amour de Régina.

« Et puis enfin comme, depuis ma première et malheureuse tentative, je m’étais toujours tenu dans les bornes d’une affection tout amicale envers ma femme, l’occasion de me témoigner du changement de ses sentiments pour moi lui avait manqué, — me disais-je… — De tels aveux en pareille circonstance, et pour elle surtout, étaient toujours d’une délicatesse extrême.

« Ces interprétations de la conduite de Madame de Montbar, une fois admises par moi, je ne trouvai que trop de raisons de les justifier et de persévérer dans ma croyance ; car, vous me l’avez souvent écrit, mon ami, avec votre inflexible droiture, — le mal et le faux, comme le bien et le vrai, ont leur logique irrésistible, fatale.

« Ainsi, les manières affectueuses, mais toujours réservées de Régina, la prudence, la discrétion qu’elle montrait dans le choix même de ses expressions lorsqu’elle me parlait de son estime, de son amitié, de sa reconnaissance ; tout cela, selon moi, n’était de sa part que contrainte, apparence, et, à la première circonstance favorable, la réalité devait m’apparaître.