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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/191

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« Après de longues hésitations… d’instinct sans doute et qui auraient dû m’avertir, je me décidai à savoir mon sort… quel qu’il fût, car, je vous avoue cette lâcheté, je ne me sentais plus la force de supporter davantage mon incertaine et pénible position.

« Depuis peu ma femme m’avait paru plus agitée, plus accablée que de coutume, ce que j’attribuais au temps orageux et pesant de tous ces jours-ci, car elle est devenue d’une extrême susceptibilité nerveuse.

« Hier, j’étais entré dans son salon assez brusquement pour qu’elle m’entendit ; elle ne s’est pourtant pas aperçue de mon arrivée ; m’approchant alors tout près d’elle… j’ai vu son visage baigné de larmes.

« Je lui ai demandé ce qu’elle avait… elle ne m’a pas répondu… je l’ai appelée… même silence, même distraction… enfin, je lui ai pris la main… au bout d’une seconde elle l’a retirée vivement, m’a regardé avec surprise comme si elle se fût éveillée en sursaut et m’a demandé si j’étais là depuis longtemps.

« Ces distractions profondes, ces moments de pénible extase ou d’insensibilité complète où elle est maintenant quelquefois plongée… je me les suis expliqués ou plutôt j’ai cru me les expliquer… comme le reste.

« Elle lutte en vain, — me suis-je dit, — contre le sentiment irrésistible qui la ramène à moi et qu’elle craint de s’avouer à elle-même… de m’avouer à moi…

« Le soir donc, par une assez belle soirée, quoique l’atmosphère fût orageuse et étouffante, nous sommes descendus au jardin.

« J’avais demandé que l’on servît le café dans un petit pavillon rustique situé au fond d’un épais quinconce.

« Lors des premiers… des heureux temps de mon mariage, Régina et moi nous éprouvions un plaisir d’enfants ou d’amoureux à fermer en dedans la porte du jardin, et à rester ainsi seuls des journées entières dans ce pavillon.

« Les souvenirs qui se rattachent à ces jours, les plus beaux de ma vie… sont encore pour moi si présents, si vivants… que, dans le courant d’idées auxquelles je me laissais entraîner, il m’a semblé qu’ils devaient avoir sur ma femme la même influence… et qu’ainsi entourée de tout ce qui devait lui rappeler nos enivrements passés… cet aveu que j’espérais si ardemment, lui viendrait presque malgré elle… du cœur aux lèvres…

« Nous sommes entrés dans ce pavillon… Régina s’est assise sur