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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/192

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un divan ; elle était vêtue de blanc… et ne paraissait plus que l’ombre d’elle-même. Elle était si pâle… si pâle… que, dans la demi-obscurité qui commençait d’envahir le pavillon, son doux et beau visage ne se distinguait pas de la blancheur de ses vêtements.

« Notre conversation ayant langui peu à peu, nous étions, presque sans y songer, tombés tous deux dans une rêverie silencieuse depuis plus d’un quart d’heure.

« Régina ne semblait plus s’apercevoir de ma présence… son regard fixe s’attachait sur la cime des grands arbres du jardin, au dessus desquels brillaient déjà quelques étoiles ; son sourire me sembla d’une tristesse, d’une amertume profonde… elle se tenait immobile, à demi pliée sur elle-même, et tenait croisées, sur ses genoux, ses mains toujours charmantes, mais cruellement amaigries…

« À cette heure, mon ami, que mon esprit n’est plus troublé par de mensongères visions, et que je me rappelle réellement la physionomie et l’attitude de Madame de Montbar… je puis à peine comprendre la funeste aberration où je suis tombé, car je me disais :

« Pauvre femme… j’ai tant fait pour elle, qu’elle s’est enfin rendue… Elle n’attend qu’un mot de moi pour me faire un aveu qui à la fois la charme et la tourmente, car cette pâleur, cet abattement, des émotions trop contenues les causent ; elle détourne ses yeux de moi… de crainte peut-être de céder à l’attraction magnétique de mon regard ; son trouble, sa distraction me disent assez qu’elle lutte une dernière fois, mais en vain, contre les pensées d’amour qui l’assiègent de toutes parts ; mais la nuit vient… le silence est profond ; nous sommes seuls… seuls… dans le lieu qui lui rappelle tant de souvenirs… Jamais occasion plus opportune ne se présentera pour amener sur ses lèvres l’aveu qu’elle retient encore…

« Je me suis donc agenouillé aux pieds de ma femme, j’ai pris une de ses mains qu’elle m’a abandonnée sans résistance.

« Cette main, brûlante, amaigrie, je l’ai couverte de baisers passionnés… et elle a répondu par une pression convulsive à mon étreinte…

« — Régina ! — me suis-je écrié avec ivresse, — enfin… tu es revenue à moi… tu es ma Régina d’autrefois… tu m’aimes ?…

« — Oh ! oui… Quoi qu’on fasse… je t’aime toujours, je t’aime plus ardemment que jamais… J’en meurs… de cet amour… mais je ne le dis pas… je ne puis pas le dire… je lui doit tantà lui !