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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/221

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Bamboche, dont l’épaisse barbe brane couvrait à moitié le visage, et qu’un large bandeau noir placé sur l’œil gauche déguisait encore, était proprement vêtu ; mais ses traits rudes, sa pâleur, sa physionomie farouche expliquaient et de reste l’hésitation que le portier avait eue à introduire sans observations un pareil personnage chez sa maîtresse.

— Voulez-vous, Monsieur, vous donner la peine de venir par ici ? — dit Astarté à Bamboche en le regardant en dessous avec un mélange de curiosité, de crainte et de surprise, ne concevant pas l’empressement de sa maîtresse à recevoir un pareil visiteur.

 

Une heure après l’entrée de Bamboche chez Basquine, Astarté venait trouver Leporello, et lui disait avec stupeur :

— Ah mon Dieu !… en voilà bien d’une autre !

— Quoi donc, ma chère ?

— Cet homme, à bandeau noir, déjeunera ici.

— Ah bah !

— Dînera ici…

— Ah bah !

— Couchera ici.

— Diable !…

— Logera ici…

— C’est donc un frère… au moins ?

— Chut ! — fit Astarté d’un air mystérieux et en parlant à voix basse.

— Quoi donc ?

— C’est un condamné politique… qui s’est échappé de prison où il avait été mis lors des émeutes.

— Ah ! alors, je comprends… pauvre garçon… Condamné politique… ça me rappelle M. Lebouffi… le majestueux député de l’opposition dont nous avons tant ri… celui qui se savonnait le crâne à fond quand il devait parler à la tribune… afin de faire des effets de crâne comme mon ancien maître faisait des effets de linge.

— Ce malheureux Monsieur, — reprit Astarté, — est, à ce qu’il paraît, las de faire des effets de prison, lui !  ! Aussi Madame nous recommande le plus grand secret… Nous deux, seuls dans la maison, saurons que le prisonnier est ici… Il couchera dans la pièce qui est de l’autre côté de la lingerie, et qui donne sur le jardin ; seule, j’en ai la clef ; pour sa nourriture… tu prendras ce qu’il faut, en desservant, avant de reporter les plats à l’office…