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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/23

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souffrir qu’on mette le pied hors de l’hôtel sans lui en demander la permission, toujours pour la chose d’exercer sa tyrannie…

— Quel homme !… quel homme ! — dit Astarté,

— Quant à ça, Juliette, — dit la femme de charge du comte Duriveau, — votre maîtresse peut brûler une fière chandelle à je ne sais quel saint, de n’avoir pas épousé mon maître…

— Je crois bien, on dit qu’elle ne pouvait pas le voir, — reprit Juliette, — et, depuis le mariage de Madame, il n’a pas mis les pieds ici.

— Et il enrage, j’en suis sûre. Enfin pour en revenir à mon affaire, je lui demande donc ce matin à sortir ce soir : — Non ! — me répondit-il durement, et avec une figure… une figure noire comme l’enfer. Bien obligé, que je me dis, et je remonte chez moi quatre à quatre ; car, avec lui, non, c’est non. Ce soir, après dîner, comme il allait chez son fils, il me rencontre dans l’escalier… ce n’était plus le même homme, il était rayonnant, je ne lui ai jamais vu qu’une fois l’air aussi gai, c’était le lendemain du duel où il avait cassé la cuisse à ce pauvre marquis de Saint-Hilaire, qui en est mort.

— Ah ! oui… un duel dans le parc du marquis, — dit Astarté. — J’ai entendu parler de cela dans le temps… M. Duriveau était alors l’amant de la marquise.

— Justement, — dit la femme de charge, ça se passait à la campagne. Celui-ci les a surpris. Ils se sont battus, et Monsieur, qui met à soixante pas une balle dans une carte, lui a flanqué son affaire, à ce pauvre marquis. Finalement, ce soir, Monsieur avait la même figure de jubilation que le lendemain de ce duel-là, il avait l’air d’être d’une joie… d’une joie atroce… Quoi !… — Vous m’avez demandé à sortir et je vous ai refusé, ma chère Madame Gabrielle, — m’a-t-il dit. — Oui, Monsieur le comte. — Eh bien ! sortez si vous voulez, je suis content, je veux qu’on soit content. — Et il a continué de monter l’escalier.

— Et qu’est-ce qui pouvait donc le rendre si content ? — demanda Juliette.

— C’est ce que je me suis dit, — reprit Madame Gabrielle. — Il y a donc du nouveau dans Landerneau ; il faut que je tâche de le savoir, ça fera mon écot pour le thé de chez Juliette ; je cours dare-dare chez le valet de chambre de Monsieur : nous sommes très-bieu ensemble parce que je lui fournis du linge de l’hôtel pour sa famille qui loge dehors. — Eh bien ! Balard, — que je lui dis, — qu’est-ce