Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pression pénible, — si vous êtes obligés… d’employer la force pour vous emparer de mon fils, je vous recommande les plus grands ménagements.

— N’ayez pas peur, Monsieur le comte, mous nous y prendrons comme lorsque nous avons à charger pour Saint-Lazare une de ces demoiselles qui, n’aimant pas ce voyage-là, mordent et égratignent comme de petites chattes en colère.

— Ainsi, c’est entendu, — reprit le comte. — Si vous êtes obligés d’en venir là… je vous le répète, je vous recommande les plus grands ménagements ; vous serez bien récompensés…

— Soyez sans inquiétude, Monsieur le comte, mous servons nos pratiques selon leur acabit ; nous répondons que Monsieur votre fils n’aura pas à se plaindre de nos bonnes petites manières.

— C’est bien ! — dit M. Duriveau en remontant en voiture.

 

Il avait fallu au comte un incroyable empire sur lui-même pour avoir supporté avec un calme apparent les derniers outrages de son fils ; mais, il faut le dire, pendant un instant, le comte était resté atterré, épouvanté sous le poids des sarcasmes de Scipion auxquels il lui eût été impossible de répondre… car cette leçon terrible qu’à son tour le fils infligeait à son père devant Basquine, ce père indigne la méritait… il se l’avouait avec terreur en pleurant des larmes de sang sur l’exécrable éducation qu’il avait donnée à son fils. Aussi, un moment, le comte fut-il au désespoir d’avoir cédé à la violence naturelle de son caractère qui le poussait toujours aux extrêmes, tantôt, comme par le passé, à une familiarité révoltante, impie ; tantôt, comme dans la scène précédente, à une rudesse de langage, à une âpreté de formes, malheureusement faites pour exaspérer jusqu’à la rage l’indomptable orgueil de son fils.

Mais venant à se rappeler ensuite que trois fois depuis huit jours (et il faut le dire, depuis la lecture des Mémoires de Martin, dont la salutaire influence, quoique encore latente, se développait de plus en plus en lui et presque à son insu) ; mais le comte se rappelant, disons-nous, que, depuis huit jours, changeant tout à coup de langage, de conduite, rougissant du passé, il s’était en vain montré envers son fils aussi sérieusement affectueux, aussi paternellement tendre qu’il s’était montré vicieux, familier ou violent ; songeant enfin que ses reproches, remplis d’élévation, de sagesse, de bonté, songeant que les larmes sincères, douloureuses, que lui avait arrachées l’en-