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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/298

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parlé ; indiquant alors à Just l’inscription qu’elle portait, il lui dit : — Depuis longtemps vous connaissez cette maxime, Monsieur Just : Nul n’a droit au superflu tant que chacun n’a pas le nécessaire

À cette citation d’une généreuse pensée qu’il avait si souvent entendu formuler par son père dans ces mêmes termes, Just, stupéfait, ne put d’abord répondre, puis une larme mouilla sa paupière, et il regarda Régina avec un attendrissement ineffable.

— Je vous comprends, mon ami, — lui dit-elle, non moins impressionnée que son mari ; — je suis fière de partager votre glorieuse émotion… en retrouvant pratiquée sans doute ici cette maxime que votre père pratiquait avec une si admirable générosité.

— Vous ne vous trompez pas, Madame, — reprit Claude Gérard, — et telle est l’irrésistible puissance des grandes vérités… que l’application de cette généreuse pensée du docteur Clément a suffi pour opérer les prodiges dont vous vous étonnez…

— Oh ! de grâce, expliquez-vous, Monsieur, — dit Just ; — vous sentez que pour moi ces détails sont maintenant d’un double intérêt.

Après un moment de silence Claude Gérard reprit :

— Un homme puissamment riche avait longtemps vécu dans l’oisiveté, dans l’insouciance du sort misérable du plus grand nombre de ses frères en humanité… ainsi que disait votre père, Monsieur Just. Soudain frappé au cœur par un malheur affreux… cet homme, transformé, régénéré par cette terrible épreuve… n’a désormais demandé de consolations qu’à la pratique des grands principes de la fraternité humaine. Au lieu d’être stérile… sa douleur a été féconde…

— Cette transformation, quoique tardive, annonce du moins un généreux naturel, — dit Régina.

— Chercher l’oubli d’horribles chagrins dans l’accomplissement du bien… cela fait tout pardonner, — dit Just.

S’ils savaient que celui dont ils parlent avec tant de sympathie… et qui aujourd’hui en est digne, est le comte Duriveau ! pensa Claude.

Puis il reprit :

— Pour cet homme, Monsieur Just, cette maxime de votre père : — Nul n’a droit au superflu, tant que chacun n’a pas le nécessaire, cette maxime a été, je vous l’ai dit, une révélation… Possesseur de ce magnifique château et des immenses domaines qui en dépendent, il a regardé autour de lui… et partout il n’a vu que misère, maladies, ignorance et désolation… Cet homme s’est dit alors : ce pays est d’une insalubrité mortelle, d’une stérilité désolante, je veux, en sacrifiant