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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/328

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308 LE BERGER DE KRAVAN.

» peine OÙ du paresseux qui dormait pendant que je m’appliquais à la culiure, ? Le » geure humain répondra tout entier que c’est À mor ; car enfin il faut que je vive, el de » quel travail vivrai-je si ce N’EST pu MIEN ? Si, au moment où je vais porter à ma » bouche ce pain que j’ai produit, un paresseux se jetail sur moi ct me l’enlevail, que » me reslerait-il donc à faire, sinon de me jeter sur un autre et de lui rendre ce qu’on n m’aurait fait ?

» ,..., [lest d’une équité évidente que le résultat du travail de l’homme lui profite à » lui, NON A UN AUTRE, et devienne sa propriété, sa propriété exclusive. »

— Eh bien, monsieur ! qu’en dites-vous ? — reprit le vieux berger, — voilà M. Thiers qui, cela se voit de reste, a surtout écrit son livre à cette charitable intention de dire à quelques riches oisifs : — « Bien ou mal acquis, ce que vous possédez est à vous, tout à » vous ; mettez vos mains sur vos poches, buvez frais, mangez chaud, jouissez en paix » sans travailler, tout le monde est heureux en France, ou, s’il y a des malheureux, tant » pis pour eux. C’est comme ça, qu’ils s’arrangent, ça ne vous regarde point ; » voilà M. Thiers qui, dans son ardeur à defendre la propriété (que personne n’attaque) et vou- laut la montrer comme étant toujours le fruit du travail (ce qui très-souvent n’est point vrai du tout), s’oublie jusqu’à nous dire : Pour qui voulez-vous donc qu’un homme travaille ? pour lui ou pour un autre ? Le fruit de mon travail à que est-al ? à mot qui me suis donné tant de peine ? où au paresseux qui dormait pendant ce temps-là ! Mais

alors moi je dirai : Ce troupeau que je soigne, nuit et jour ! ces agneaux que J’aïde à .

naître, et qu’ensuite j’élève avec tant de peine ! est-ce pour moi, ou pour un autre, que je les élève ! Non, c’est pour un autre ! c’est pour le maître du troupeau, un monsieur de la ville, un paresseux, comme dit M. Thiers ! Et ces journaliers laboureurs qui labou- rent la terre, la fument, sément le blé, le moissonnent, l’engrangent, le battent et le met- tent en sac ? Ce blé est, bel er bien, le fruit de leur travail de chaque jour ! et pourtant qui en a profit, de ce blé ? le maître du champ, souvent un monsieur qui vit à la ville, un paresseux, comme dit M. Thiers ! Et ces’ jourualiers viguerons qui béchent, qui sar- clent, qui émondent la vigne, qui la vendangent, la foule nt au pressoir, tirent le vin de la cuve, et le mettent en füt ! Ce vin est, bel et bien, le propre fruit de leur travail de chaque jour ! et pourtant qui en a le profit, souvent un mx nsieur qui vit à la ville, un pa- resseux, comme dit M. Thiers ; et plus loin, là, monsieir, page 41, quand M. Tluers vient dire : « Je m’approprie d’abord ma personne, les sensations qu’elle éprouve, les » jugements qu’elle porte, les volontés qu’elle conçoit, et je crois pouvoir dire, sans être » un Lyran ou un usurpateur : — La première de mes x ropriélés, c’est moi-mêmet » Eh bien, moi, et tous ceux qui comme moi sont forcés d’accepter, pour ne pas mourir de faim, le salaire insuffisant qu’on leur impose, nous vous répoudrons, monsieur Thiers : — Celan’est point vrais : non, nous n’avons pas même la propriélé de nous-mêmes, puis- qu’il nous faut crever de besoin ou subir la condition du maitre. Ah ! monsieur, — ajouta le vieux berger en soupirant, — ce peuple de pauvres gens, dont on nie les misères, est un peuple de braves et laborieux hommes ! Ils travaillent comme des bêtes de somme, et souvent ils meurent de fatigue et de déuùment à côté des abondants produits qu’eux seuls ont créés. Hélas ! aux yeux du bon Dieu, cela n’est peut-être pas très-juste, mais enfin c’est la loi, on s’y soumet ; c’est un devoir ; mais enfin qui fait son devoir mérite respect, et c’est se moquer de parler du bonheur de espèce humaine à des gens qui n’ont jamais connu que la misère ; aussi, monsieur, encore uné fois, m’est avis que Le petit livre de M. Thiers doit rendre les riches plus durs et les pauvres plus envieux s’ils avaient à l’être.

— Cela n’est que trop vraï, père Mathurin, dans ce livre pas un mot qui vienne de

l’âme, On dirait que cet homme prend à tâche de glacer l’espérance dans lé cœur de tous ceux qui souffrent, apôtre impitoyable du droit impitoyable de propriété. Ce droit, il le symbolise souvent par des images de violence, de rapine et de meurtre qui sufliraient à faire abhorrer ce droit, si la sagesse, la résignation, la probité du peuple n’élaient pas

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