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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/329

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LE BERGER DE KRAVAN. 309

aussi éprouvées que la triste étourderie de M, Thiers est désolante lorsqu’il ose toucher à ces redoutables questions ; il va plus loin à son insu, croyons-le, il tend à endurcir, à pervertir l’âme des enfants, presque toujours naïve et pure, en la desséchant par l’exemple d’un précoce et stupide égoïste |

— Tenez, monsieur, — me dit le vieux berger en feuilletant le petit livre de M, Thiers, — je suis sûr que vous voulez parler de ce passage-là.…. Je l’avais aussi remarqué, tant il m’avait révolté,

Et le père Mathurin lut ce qui suit :

« J’observe quelquefois un jeune enfant, héritier unique d’une fortune considérable, » comprenant déjà qu’il n’aura pas à parlager avec d’autres frères le château où sa » mère le conduit tous les étés, se sachant done seul propriétaire du beau lieu où s’écoule » son enfance ; eh bien, à peine arrivé, il veut dans ce parc même avoir son jardin où » al cullivera des légumes QU’IL NE MANGERA PAS, DES FLEURS QU’IL NE SONGERA PAS » À CUEILLIR, Mais où il sera maitre ! maître dans un petit coin du domaine, en atten- » dant qu’il le soit du domaine tout entier, »

— Hein ! monsieur, l’aimable enfant ! — s’écria le père Mathurin avec un éclat de rire ironique, — la jolie graine de propriétaire ! comme elle promet ! est-il gentil ce bambin millionuaire, calculant déjà, comme un petit homme, qu’il aura la douceur de ne point partager ses grands biens avec des frères ou des sœurs quand son papa ét sa ma- man seront morts ! A huit ou dix aus, penser déjà à l’héritage ! être aussi avancé ! Ce que c’est pourtant que de naitre riche ! Et puis, comme c’est touchant de le voir dans son jardinet cultiver des légumes et des fleurs qu’il ne songera pas même à cueillir, mais qu’il cullive pour le seul plaisir d’ea être le maître ! Combien cela prouve d’intelli- gence et surtout de bon cœur ! Tout autre que M. Thiers vous aurait cité pour exemple l’enfant d’un château disant à quelque enfant du village : « Mes parents m’ont abandonné » ce coin de terre, j’y cultive pour mou plaisir des fleurs et des légumes ; tiens, je te les » donne, à toi, pauvre petit, qui n’as ni coin de terre, ni beaux légumes, ni belles » fleurs... » Ah ! bien oui, il n’est pas si bête, pas si socialiste, le petit propriétaire de M. Thiers ! Au lieu d’eu faire profiter quelqu’un, il aime mieux laisser ses fleurs se faner sur leur tige, les légumes pourrir en terre, à la seule fin d’avoir la félicité de se dire : « Ces fleurs et ces fruits, dont je n’ai que faire, ne serviront à personne, el personne n’y » touchera, parce que j’en suis propriétaire ! » Comme un tel exemple est ingénieuse- ment choisi pour faire respecter la propriété ! Ah ! par ma foi, pour peu qu’avec l’âge ces belles idées-là se développent chez cet enfant, à l’aide des encouragements que lui donnera probablement M. Thiers, l’historien de ce cher petit prodige, à vingt ans ce sera un joli garçon... Allons done, monsieur. je vous dis, moi, que lorsqu’on cite avec com- plaisance une conduite qui montre chez un enfant tant de sottise et de sécheresse de cœur, on est un mauvais homme.

— Pour être méchant, père Mathurin, il faut croire au mal, et, je vous l’ai dit, M. Thiers ne croit pas même au mal : c’est un homme d’une rare intelligence, d’un ju- gement souvent faux, mais Loujours très-borné, parce qu’il ne voit jamais au delà des h- mites de son intérêt et de son orgueil ; le dépit et la vanité blessée le couduisent en aveugle ; après avoir attaqué les prêtres, l a crurouer le clergé en le flauant, il l’a flaté ; pour uu rien il eût baïsé la patène et appris son catéchisme afin de le réciter bien gentiment à MM. de Falloux et Montalembert, chefs du parti-prêtre. S’il entrait dans les calculs d’ambition de M, Thiers d’être républicain socialiste, demain 1l le serait, et com- promettrait cette cause en Ja soutenant, comme en le défendant il compromettrait le droit de propriété s’il pouvait l’être par un livre peu sérieux. Que voulez-vous ? M. Thiers a Loujours eu l’inconvénient de perdre les causes qu’il a servies, parce qu’il ne servait ja- Mais que sa vanilé laquine et brouillonne. Plaignons-le, il faut toujours plaindre une belle intelhgence pervertie et faussée ; puis elle est toujours digne de pitié, l’infirmité de

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