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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/330

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310 LE BERGER DE KRAVAN.

ceux-là qui, hors d’état de marcher à grands pas avec leur siècle, s’épuisent en petits efforts ridicules pour arrêter le progrès de l’humanité. Pauvres nains !! ! l’humanité les devance, passe, et les laisse au loin essoufllés sur la routé ! Passons aussi, père Mathu- rm, oui, passons. et oublions.., le petit livre de M. Thiers.

— Au fait, monsieur, mieux vaut oublier ; n’est-ce donc point assez du mal que l’on

nous fait ou que l’on veut nous faire, sans augmenter ce mal en rendant méchanceté pour méchanceté ? C’est perdre un temps que l’on peut employer à mieux,

V

JuswcE ET CHARITÉ, par M. Cousin. — Comment le père Mathurin ne comprend point grand’chose au beau langage de ce grand philosophe. — Néanmoins le pére Mathurin comprend ceci : — QUE VOUS AVEZ PARFAITEMENT LE DROIT DE LAISSER YOTRE PROCHAIN MOURIR DE FAIM,.ET QUE, SI VOUS L’ASSISTEZ, VOUS RISQUEZ D’ATTENTER À SES DROITS. — Ce que pense le père Mathurin de ce nouvel Evangile — Bien-èrre ET Concoroe, par M. le baron Charles Dupin. — Pourquoi le père Mathurin prétend que ce petit livre de M. le baron devrait s’intituler : MAL-ÊTRE ET nis- CORDE, tu que ce savant homme est à chaque instant en discord avec lui-même ét prouve le mal- être des gens en voulant prouver leur bien-être. — Fragment du Rapport officiel d’un cullé- que de M. le baron à l’Académie des choses morales et politiques.— Immenses bienfaits de la con- currence tllimitée, défendue par les soutiens de l’ordre et attaquée par les socialistes anarchis- tes. — Comment souvent UX CENTIME d’augmentation de salaire pourrait sauver la vie d’un enfant. — Comment des milliers d’ouvriers couchent demi-nus au fond des caves, sur de la cen- dre, vivant d’épluchures ramassées dans les ordures des rues. — Comment, en présence de ces faits et de tant d’autres, le père Mathurin, finissant comme tl a commencé, trouve peut-être un peu risquée cette bucolique de M. Thiers, extraite de son beau livre sur le Droit de propriété : — NOTRE SOCIETÉ, ÉPANOUIE COMME UNE FLEUR À LA ROSÉE ET AU SOLEIL, S’ÉTALE DE TOUTES PARTS AUX YEUX CHARMÉS QUI LA CONTEMPLENT.

Le père Mathurin, me montrant les deux derniers des petits livres que je lui avais prètés, me dit :

— Ma foi, monsieur, pour en finir avec ces fameux petits livres de ces messieurs lés savants de Paris, voici les deux derniers que j’ai lus, celui de 7, Dupin, dott nous avons déjà parlé, et celui de A7. Cousin ; pourtant, quand je dis lus, c’est une matière de parler en ce qui touche le livre de M. Cousin intitulé Justice et charité. Dame, mon- sieur, jé ne suis qu’un pauvre diable, et ce qu’écrit A. Cousin, c’est trop superbe pour moi, ça m’éblouit, et je n’y vois que du feu, J’ai pourtant compris par-ci par-R une ou deux choses que j’ai notées, ainsi, page 41, ce savant homme dit ceci :

a — Vous qui ävez faim, je me sens le devoir de vous secourir, et vous n’avez pas le » droit d’exiger de moi la moindre partie de ma fortune ; et si vous m’arrachez une obole, » vous commettéz une injustice : il y a des devoirs qui n’ont pas de droits corrélatifs. »

Après avoir lu ces lignes, le vieux berger reprit : ,

— C’est vrai, je comprends cela, monsieur ; car enfin j’ai une femme et des enfants, je suppose, ils sont en train de mourir de faim et de froid dans un galetas ; je n’ai pas d’ouvrage, je sors le soir pour demander l’aumône ; je m’adresse mal, on me refuse. Le désespoir s’empare de moi ; je vois un monsieur, la joue rouge, l’œil allumé, sortir d’un restaurant où il a trop dîné ; je le suis dans une rue sombre, je le vois arrêter uné pauvre fille des rues (perdue peut-être aussi par la faim) : il offre cent sous à cette malheureuse. A la vue de cette pièce d’argent, qui ferait vivre moi et ma famille pendant cinq ou six jours, ma tête s’égare ; je veux prendre les cent sous à cet hoïnme, il crie au voleur, on m’arrêle, on me condamne, c’est la loi, c’est bien ; ma femme meurt, c’est bien ; mes petits enfants sont enfermés comme vagabonds, c’est bien ; si ma fille a quinze ans et que la misère la pousse trop fort, elle fait comme la pauvre créature à qui le monsieur offrait les cent sous que j’ai voulu lui voler, trés-bien ; je n’ai pas un mot à dire ; ainsi va le monde ; mais est-ce que c’est très-beau, un monde qui va ainsi, monsieur ? Celui qui a trop n’est point obligé de donner à celui qui n’a rien, soit, c’est la loi, je la respecte ; mais pourtant que deviennent les malheureux abandonnés de la sorte aux hasards du diable et de ses mauvaises tentations ?

sep 0

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