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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/335

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LE BERGER DE KRAVAN. 315

faire aussi, d’après nature, l’histoire de tous les autres, et démontrer à quel point tant d’hommes laborieux vivent d’une vie précaire, même dans les temps de calme et d’oc- cupalion, En étudiant avec attention ces exposés fidèles, on devinerait aisément à quelles rudes épreuves les filtiers doivent être condamnés aux époques du chômage : nous les re- trouverons bientôt dans ces mauvais moments. Mais ce qu’on ne sait pas assez, c’est que les chefs de ces industries, si périlleuses, ne jouissent pas de plus de sécurité que leurs ouvriers, ef que La CONCURRENCE leur impose trop souvent des condilions incompatibles avec LEUR INTÉRÈT ÊT MÊME AVEC LEUR HONNEUR, }

Après cette douloureuse et effrayante lecture, le vieux berger me regarda avec une sorte de stupeur, ses yeux se mouillèrent de larmes, et il s’écria :

— Et ce sont des créatures du bon Dieu qui vivent ainsi !.., Coucher dans des caves ! sur de la cendre ! manger des épluchures ramassées dans la boue des rues... et pour ces ouvriers un centime d’augmentation dans le salaire serait quelquefois la vie on la mort d’un enfant... et ce centième, souvent ils ne l’obtiennent pas l’un centième... mon Dieu !

ainsi, c’est peut-être trois cents céntimes... TROIS FRANCS... qui sauvent cés {rois cents

enfans Sur LES VINGT-UN MILLE qui meurent par année... dans certaines villes... ENTEN- DEZ-VOUS CELA, monsieur Turers ! — s’écria le vieux berger avec un redoublement d’indi- goation, — Entendez-vous cela ! vous et les vôtres qui nous disent : Vous avez des vêle- ments de soie | vous habitez des palais lou au moins vousavez de bons habits, des mai- sons saines, du pain et du vin pour vous et vos enfants ! Entendez-vous cela, vous qui dites : — Votre société, épanoute comme une fleur à la rosée et au soleil, s’offre de toutes parts œux yeux charmés qui la contemplent ! Ah !.., pour toute punition de votre méchant livre, je voudrais vous voir vivre seulement huit jours de cette vie... au milieu de ces malheureux ; alors, j’ensuis sûr, vous demanderiez grâce et pitié pour eux. Vous rougiriez de vouloir attirer le mépris, la haine, l’exécralion publique sur ces républicains socialistes, qui se sont voués corps et âme au soulagement des maux de leurs frères.

Et le vieux berger resta quelques moments silencieux et dccablé,

— Ah ! ce sont là de grands maux ! — reprit-il en soupirant, et quand on y songe, monsieur, l’on est bien près de se décourager ; il y aura-t-il jamais, mon Dieu ! moyen de remédier à tant de misères ! !!

— Oui, père Mathurin, à y a un moyen. La plupart des socialistes le reconnaissent, le proclament, le démontrent j :5qu’à l’évidence 3 il est simple, légal, pacifique, ne prend rien à personne, assure le bet-être de tous, sumule le zèle, le courage des travailleurs, et les enlève à la dépendance des homines qui depuis si longtemps les exploitent,

— Etce moyen, monsieur ? -— c’est l’ASSOGIATION... Le gouvernement républicain qui a précédé le gouvernemeut royauste de M. Bonaparte n’était pas sans doute à la hauteur des circonstances ; cependant il a fait quelques bonnes tentatives, abandonnées, bien én- tendu, par les gens qui aujourd’hui nous gouvernent et prennent à tâche de faire mau- dire la République et de démentir une à une toutes ses promesses. Ainsi, avant la nomi- nation de M. Bonaparte comme président, l’Assemblée nationale avait voté trois millions pour encourager les assocrations ouvrières. Ces associations, et d’autres établies avec leurs propres ressources, sont aujourd’hui en pleine activité, et, molgré les difficultés du temps, la langueur des affaires, elles commencent à prospérer, tant est puissante la force de l’association ; car dans l’association on a bien plus de cœur à l’ouvrage. Ce n’est plus seulement pour le profit d’un maître ou d’un patron que l’on travaille, mais pour le profit de l’association, pour le profit de tous céux qui en font partie. Plus on met de zèle, de soin, d’intelligence, d’économie dans la fabrication, plus l’association y gagne, et plus la part d’un chacun S’en augmente. Encore une fois, père Mathurin, c’est cette fraternelle association soit des travailleurs entre eux, soit des ouvriers et des patrons dans l’indus- trie, dans l’agriculture, qui sauvera la France. Ainsi quant à ce qui regarde l’agriculture, Je vais vous donner un exemple entre plusieurs : Supposons dix de ces petits proprié-