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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/16

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— Ah çà, je compte sur vous : entre chasseurs on doit s’aider. Un coup de main au besoin, si vous rencontrez mon brigand.

— C’est entendu, monsieur Beaucadet, et si mon renard se rabat sur vous, qui restez à la lisière du bois, poussez de grands cris pour lui faire gagner la plaine…

— Soyez tranquille, je sens que je ferai bonne chasse et peut-être même coup double, en pinçant, par la même occasion, ce gredin de braconnier, ce gueux de Bête-Puante, qui m’a échappé jusqu’ici.

En entendant la menace dont le braconnier était de nouveau l’objet, le piqueur ne put dissimuler une légère inquiétude ; elle échappa au sous-officier, occupé de regarder le gendarme qui arrivait au galop.

Après un instant de silence, le piqueur reprit :

— En chasse, voyez-vous, monsieur Beaucadet, il ne faut jamais chasser autre chose que l’animal de meute… sinon l’on revient bredouille, comme nous disons, nous autres veneurs. Aujourd’hui, contentez-vous de chasser le loup ; demain, vous chasserez le chat sauvage.

— Allons donc ! père Latrace ; pour un vieux routier, vous oubliez qu’en battue on tire tout ce qui passe à votre portée… un lapin comme un cerf. Aussi, que Bête-Puante me passe, il goûtera de mes menottes. Je sais bien qu’on soutient ce gredin-là dans le pays, que ces traîne-la-mort de Solognaux l’aident à se cacher, et ne le dénoncent jamais, parce qu’on dit qu’il a des secrets pour les guérir de leurs fièvres, ces meurt-de-faim-là | Mais Bête-Puante a assez voltigé comme ça ; il est temps de le mettre en cage.

À ce moment, un cri d’oiseau, cri aigu, sonore, prolongé, partit de l’épais taillis qui bordait la lisière du bois.

Le vieux veneur devint pourpre et tressaillit.

Le sous-officier, surpris par ce bruit soudain, fit un bond sur sa selle, et leva curieusement les yeux vers les cimes vertes et touffues des sapins. Ce mouvement l’empêcha de remarquer l’émotion du piqueur, ainsi qu’un léger mouvement du feuillage vers l’endroit le plus fourré du taillis qui bordait le carrefour ; pourtant il ne faisait pas alors le moindre souffle de vent.

— Voilà un vilain cri d’oiseau, — dit M. Beaucadet.

— Vous ne reconnaissez pas le cri de l’aigle de Sologne ? — dit tranquillement Latrace. — Tenez, le voilà là-bas qui s’en va gagnant son repaire, rasant les tallées de chênes. Quels coups d’ailes !

donc, père Latrace ? où donc ?