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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/178

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procha de son maître, toujours accoudé à la fenêtre ouverte, et lui dit avec un accent de respectueux intérêt :

— Monsieur le comte ne songe peut-être pas que l’air du soir est humide… et il n’est peut-être pas prudent que M. le comte…

M. Duriveau, aussi surpris que blessé, interrompit Martin, et lui dit durement :

— Une fois pour toutes, sachez que je ne tolère aucune familiarité, même sous prétexte de prévenance… Débarrassez ces Messieurs de leurs tasses.

Martin s’inclina sans mot dire.

Après avoir été prendre et poser successivement sur un plateau les tasses de chacun, il les plaça sur la petite table, auprès de laquelle il se tint immobile, pâle, les yeux ardemment fixés sur le sombre massif, avec une anxiété qui augmentait à chaque instant.

L’incisif et âpre langage du comte avait fortement impressionné ses auditeurs ; néanmoins, l’un d’eux, M. Chandavoine, malgré son égoisme traditionnel et son entendement assez borné, sentant ce qui restait d’humain en lui se rebeller contre les impitoyables maximes du comte, lui dit timidement :

— Permettez-moi, Monsieur le comte, une petite observation.

— Je vous écoute, mon cher Monsieur Chandavome, — dit M. Duriveau.

— Comme vous, Monsieur le comte, je passe condamnation sur les vices, sur la corruption de la basse classe… Seulement, en reconnaissant que le pauvre n’a aucun droit à exiger des secours du riche… ne serait-il pas… dans certaines circonstances données, et avec toute restriction… ne serait-il pas, sinon du devoir, du moins de la politique, du riche, de secourir le pauvre ?… à la charge du pauvre, bien entendu, de se montrer humble, soumis et reconnaissant de ce que le riche daigne faire pour lui…

— Sans doute la charité n’est pas légalement un devoir pour le riche, — dit l’ancien avoué : — mais enfin… il y a quelque chose de vrai dans ce que dit Chandavoine.

— Oui, oui, — dirent plusieurs voix, — car il y a de bien méchants drôles parmi les pauvres.

— Et il faut prendre garde de les irriter.

— Qu’en pensez-vous, Monsieur le comte ?

— Ce que je pense, Messieurs, le voici, — répondit le comte de sa voix la plus acerbe, la plus tranchante, — non-seulement la cha-