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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/22

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— Malédiction !… le renard… il amène la chasse de ce côté.

Doublement alarmé, le braconnier court au taillis afin de refermer l’entrée du repaire. Mais le fugitif en sort, livide, les traits bouleversés, en s’écriant, d’une voix tremblante :

— Plutôt être pris… — tué !  ! que de rester dans ce souterrain. Oh !… ce que j’ai vu… là… si vous saviez quelle fatalité ! ce nom !  !… Bruyère !… C’est à devenir fou.

Soudain les aboiements de la meute, jusqu’alors éloignés, se rapprochent, et bientôt retentissent en formidables accords parmi ces grands bois silencieux et sonores. Au même instant, une bouffée de brise apporte un bruit confus de cris et de voix s’avançant de plusieurs côtés à la fois. Ces cris sont ceux des gens qui traquent le fugitif.

Ces deux incidents s’étaient passés en moins de temps qu’il n’en faut pour les écrire, et à l’instant où Bamboche, s’élançant du repaire du braconnier, s’écriait d’une voix palpitante de terreur :

« Plulôt être pris… tué, que de rester dans ce souterrain… Oh !… ce que j’ai vu… là… si vous saviez quelle fatalité ! ce nom !… Bruyère !… C’est à devenir fou !… »

— Tu es mort ! — s’écria le braconnier avec un accent terrible en levant sa carabine qu’il tenait à deux mains comme une massue, — je te tue… si l’on te trouve ici… avant que j’aie pu fermer ce refuge…

Il achevait à peine cette menace, que les branches du fourré dont était environnée la clairière s’agitèrent vivement, comme si elles s’écartaient devant une approche précipitée… Le fugitif tressaillit,… et, soit qu’il obéit à l’injonction désespérée du braconnier, soit que l’instinct de conservation surmontât sa terreur, il se précipita dans le souterrain : Bête-Puante replaça la trappe pesante, effaça sur le sol la trace des pas de Bamboche, et n’eut que le temps de se jeter au fond de l’affût, où il s’était d’abord blotti.

Le braconnier venait de disparaître ; soudain, au craquement des branches, succéda le bruit d’un léger galop, et un renard énorme, au pelage fauve rouge, aux pattes et aux oreilles noires, entra précipitamment dans la clairière ; il ruisselait d’eau, il venait de traverser un étang, afin de dépister les chiens ; sa ruse avait réussi, car, un moment rapprochée de cet endroit du bois, la meute s’en éloignait de nouveau, ainsi que l’annoncèrent ses aboiements de plus en plus voilés.