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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/23

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Le renard haletait, essoufflé : sa langue, rouge, desséchée, sortait de sa gueule ouverte ; ses yeux verdâtres flamboyaient, tandis que ses oreilles couchées, sa queue traînante, ses flancs battants, témoignaient de la rapidité de sa course, de l’épuisement de ses forces ; un moment il s’arrêta, chercha le vent en tournant son museau noir de côté et d’autre ; puis, pendant quelques minutes, il parut écouter du côté du couchant avec autant d’attention que d’anxiété… Il n’entendit rien…

L’affût du braconnier se trouvant à quelques pas et sous le vent du renard, celui-ci ne put éventer ce voisinage ; … le bruit des aboiements de la meute, alors complétement dévoyée, avait cessé… Ayant ainsi quelques minutes d’avance sur les chiens acharnés à sa poursuite, l’animal chassé reprit haleine, s’affaissa sur lui-même, les pattes étendues, la tête à plat sur le sol, la gueule entr’ouverte ; on l’eût cru mort sans le mouvement incessant, presque convulsif, de son oreille, toujours prête à recueillir le moindre son.

Soudain, le renard se redresse sur ses quatre pattes, comme s’il était poussé par un ressort ; il retient sa respiration haletante, dont les saccades bruyantes gênent la délicate perception de son ouïe… il écoute.

La chasse, dans ses capricieuses évolutions, dans ses retours soudains et rapides, se rapprochait de nouveau de la clairière ; cette fois, les fanfares des trompes accompagnaient les hurlements de la meute.

À ce moment suprême, se sentant sur ses fins, l’animal épuisé tente un dernier effort, une dernière ruse, pour dévoyer encore la meute et lui échapper. Il parcourt la clairière en tous sens, doublant, croisant la trace de ses pas en un réseau tellement inextricable, qu’il devait être impossible aux chiens de le démêler… Puis, se ramassant sur lui-même, d’un premier bond énorme, il s’élance de la clairière dans le taillis, tombe au milieu des roches, presque sur la trappe couverte de pierres et de ronces, qui masquait l’entrée du souterrain ; puis posant à peine ses pattes sur la mousse des rocailles, d’un second élan désespéré, saut de six pieds de large au moins, il atteint le plus épais du fourré, y fait encore trois ou quatre bonds démesurés, et se prend à fuir de toute la vitesse de ses membres, raidis par la fatigue et par leur froide et récente immersion.

Grâce à ce merveilleux instinct de conservation, naturel à tous les animaux chassés, le renard, par ces bonds énormes et successifs, interrompait, dans un rayon de trente à quarante pas, la voie, odeur