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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/220

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tenti, la métayère prit une lanterne et sortit précipitamment, gagna l’étroite jetée qui bordait l’étang près des ruines du vieux fournil ; alors, par trois fois, la mère Chervin éleva sa lanterne en l’air, puis l’éteignit et attendit.

La lune pure et sereine inondait l’étang d’une lumière argentée ; bientôt sur cette zone resplendissante la métayère vit se dessiner la noire silhouette d’une forme humaine, tantôt marchant debout, tantôt courbée, se glissant et s’avançant à travers les roseaux dans la direction de la ferme.

Au bout de quelques instants, Bête-Puante sortit des joncs parmi lesquels il avait rampé, et gravit la chaussée où la métayère l’attendait toute tremblante.

— Martin est-il venu ? — demanda le braconnier.

La métayère, au lieu de répondre, joignit les mains et s’écria :

— Hélas ! mon Dieu !… c’est vous, Monsieur Bête-Puante, je vous croyais renfoncé dans les grands bois : vous ne savez donc pas que Monsieur Beaucadet et ses gendarmes…

— Martin est-il venu ? — reprit le braconnier avec impatience, en interrompant la métayère.

— Non… Monsieur Bête-Puante, répondit celle-ci ; — pas encore.

Puis la métayère ajouta avec une hésitation craintive :

— Je n’ose pas vous demander d’entrer chez nous… Monsieur Bête-Puante, vous n’aimez guère à mettre le pied dans les maisons.

— Et le bonhomme ? demanda le braconnier sans répondre à l’offre qu’on lui faisait.

— Hélas ! mon Dieu, — reprit tristement la métayère, — mon pauvre mari est de plus en plus faible. Depuis le jour où les gendarmes sont venus pour arrêter Bruyère, et où elle s’est noyée, le cher homme ne s’en est pas relevé, tant ça lui a fait une révolution… Nous l’aimions tant ! cette pauvre petite.

— Elle est morte… bien morte ; n’y pensons plus, — se hâta de dire le braconnier, d’une voix sourde.

— Et quand on pense qu’on n’a pas pu seulement retrouver son pauvre petit corps.

— Non, non, on ne pouvait pas le retrouver, — répondit le braconnier, — il y a des gouffres à tourbillon dans l’étang ; son corps y aura été entraîné.

Puis, comme s’il eût voulu rompre cet entretien, le braconnier ajouta :