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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/244

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— Écoute-le… écoute-le… — dit le braconnier à Martin.

— J’écoute… — répondit Martin.

— Que diable a pu faire le Claude ? — dit Scipion en réfléchissant. — Embusqué au pied du lit de sa femme, il t’a demandé… la bourse ou la vie ?…

Le braconnier poussa un cri terrible, et fit un mouvement si violent, qu’il faillit à rompre les liens qui l’attachaient.

— Claude… mon ami… — lui dit Martin d’un ton de doux reproche… — du calme et du mépris.

— Tu as deviné juste, mon garçon, — répondit le comte à son fils, — le Claude m’a demandé ma bourse… pas pour lui… le digne homme… mais pour ce qu’il appelle ses frères en humanité.

— Comprends pas… — fit Scipion.

— Tu es riche, — me dit le Claude… jure-moi de venir en aide à tes frères qui souffrent… et je te laisse la vie… sinon… non.

— Eh mais… — dit Scipion en ricanant à froid, — c’est un nouveau chantage… le chantage philanthropique. — Puis, s’adressant au braconnier :

— Ah ça ! dites donc, mon cher, si tous les… maris trompés pensaient comme vous… il n’y aurait plus de pauvres en ce monde…

À ces paroles de son fils, le comte partit d’un grand éclat de rire…

Un nouvel incident vint interrompre cette explosion d’hilarité.

Le métayer et la métayère du Grand-Genévrier, éveillés par le bruit, par le piétinement des chevaux des gendarmes, s’étant levés, et avaient bientôt appris que le comte Duriveau, leur seigneur, comme ils disaient, se trouvait là.

Effrayés du sort qui les attendait en suite de leur expulsion de la ferme, maître Chervin et sa femme avaient voulu tenter une démarche suprême ; et, les larmes aux yeux, les mains suppliantes, tous deux s’approchèrent timidement du comte au moment où Scipion venait de proférer son dernier et insolent sarcasme.

— Monsieur le comte… — dit la métayère d’une voix tremblante, — au nom du bon Dieu ! ayez pitié de nous…

— Qu’est-ce ? — demanda le comte avec une impatience hautaine. — Qui êtes-vous ? que me voulez-vous ?

— Nous sommes les Chervin, les métayers du Grand-Genévrier, mon cher seigneur. On a saisi chez nous… on nous chasse d’ici… où nous sommes depuis quarante ans… Nous avons toujours travaillé tant que nous avons pu, et nous n’avons jamais fait de tort à personne…