Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin, ajoutant quelques mots grossiers alors inintelligibles pour moi, elle me donna, en manière de plaisanterie ou de leçon, un grand coup de sabot.

Si je n’avais pas dit à cette fille, dont la corruption brutale me soupçonnait d’une cynique précocité :

Laissez-moi vous aimer comme j’aurais aimé ma mère, moi qui n’ai pas de mère,

C’est que les mots me manquaient pour exprimer cette pure et vague aspiration vers l’affection maternelle, que je n’avais jamais connue, et dont pourtant je pressentais vaguement l’ineffable douceur.

Aussi, malgré ma candeur, un sentiment instinctif de dégoût se mêla à mon cruel désappointement, en voyant mes offres d’affection ainsi accueillies par Catherine.

Cette nouvelle déception ne me corrigea pas de mon insurmontable besoin d’attachement, mais elle m’inspira un nouveau et amer découragement ; je me réfugiais alors dans le vague souvenir de cette belle jeune femme que j’avais vue travaillant auprès de mon berceau, faisant voltiger et bruire ses fuseaux sous ses doigts agiles à la lueur d’un globe lumineux dont l’éclat avait fait l’admiration et la joie de mon enfance. Cette douce figure m’apparaissait alors comme la fée tutélaire de mes premières années ; mais ces souvenirs, si lointains, si confus, ne pouvaient satisfaire à la soif de tendresse dont j’étais tourmenté.

Peu de temps après avoir été si cruellement repoussé par Catherine, j’eus le courage de tenter encore de me faire un ami. J’avais jeté les yeux sur un jeune ouvrier charpentier avec lequel nous travaillions aux réparations de la maison de campagne dont j’ai parlé ; d’un caractère doux et affectueux, il m’avait quelquefois adressé la parole avec bienveillance ; un jour, embarrassé, inquiet de la manière dont je l’aborderais, j’étais tristement assis sur une pierre à l’heure du repas ; je vis arriver cet ouvrier qu’on nommait le Beauceron : Catherine l’accompagnait ; mon morceau de pain et mon arête de hareng étaient tombés à mes pieds.

— Tu ne manges donc pas, garçon ? — me dit le Beauceron en me frappant sur l’épaule.

— S’il ne mange pas, — reprit Catherine en éclatant de rire, — c’est qu’il a du chagrin.

— Pourquoi ? dit le Beauceron.

— Parce que l’autre jour ce gamin-là, — et Catherine se mit à