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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/29

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manquait de patience, de désintéressement, de discernement, de résignation, et surtout de mystère et de pudeur, si cela peut se dire, M. Duriveau ne se doutait pas qu’il lui avait manqué l’intelligence des maux qu’il croyait soulager, et qu’il aggravait parfois, parce qu’il était brusque, impatient, rude, et que l’apaisement de certaines infortunes timides, ombrageuses, demande un tact d’une douceur, d’une délicatesse extrêmes.

Cet essai louable, mais malheureux, dans la pratique des idées généreuses, devait amener et amena dans l’esprit d’Adolphe Duriveau une funeste réaction : pour lui l’insensibilité systématique devint : expérience des hommes, — la pitié : faiblesse ; — l’égoïsme : bon sens ; — la cupidité : prévoyance ; — le profond dédain des autres : conscience de sa valeur légitime ; — le malheur d’autrui : juste punition des désordres, Fatalité inhérente à tout état social, Conséquence du péché originel, Volonté providentielle, etc.

M. Duriveau se montrait, en un mot, furieux catholique à l’endroit de cette sacrilège imposture :

Qu’un dieu tout paternel a créé l’homme pour le malheur.

Ce bel axiome légitimait la dureté de cet implacable égoïste.

Il en arguait, il en triomphait.

« Les hommes sont nés et faits pour le malheur, — disait-il avec une insolente ironie ; — Dieu l’a voulu ; que la volonté de Dieu soit respectée ! ne la contrarions jamais ! contentons-nous de vivre splendidement, joyeusement, dans une heureuse exception… qui confirme la règle. »

Cet homme, à son point de vue, pouvait donc dire et disait : — J’ai été bon, généreux, humain ; — Je n’ai rencontré que déception, ingratitude ; — toute infortune mérite son mauvais sort ; — bien niais qui s’apitoie.

Il faut l’avouer, M. Duriveau, doué d’un esprit naturel remarquable, d’une grande énergie de volonté, d’une rare audace de caractère, savait ainsi, à force de cynisme, d’effronterie, donner du piquant à ses cruels paradoxes, et, dans le monde qu’il fréquentait, il trouvait trop souvent des approbateurs ou des complices.

La fréquentation d’une certaine société, outrageusement fière de sa richesse ou de ses titres récents, la lèpre de l’oisiveté, la presque inévitable et mauvaise influence d’une immense fortune acquise sans labeur, étouffèrent bien vite les premières tendances de M. Duriveau. Il resta fastueux, mais il devint cupide ; puis il ne lui suffit plus