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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/303

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mère Major ? — lui dis-je, troublé par cette révélation inattendue.

Bamboche ne me répondit pas d’abord.

Il garda quelques moments le silence, puis obéissant à ce besoin d’expansion naturel aux amoureux de tous les âges, et songeant pour la première fois (il me l’a depuis avoué) qu’un ami devenait un confident obligé ; cédant aussi à un sentiment de sympathie aussi inexplicable qu’involontaire, que je lui avais soudain inspiré, il me dit, avec autant d’émotion que de sincérité :

— Écoute… quand tu es venu, j’ai eu plaisir à te faire du mal, parce que depuis longtemps on m’en fait… tu t’es bravement défendu… tu m’as mis sous tes genoux, ça m’a rendu plus méchant encore… À ce moment-là, vois-tu ? je t’aurais étranglé ; mais après, quand je t’ai vu, sans chercher à te défendre, pleurer, non des coups que je te donnais… mais de ce que je ne voulais pas être ami avec toi, dame… ça m’a fait un effet tout drôle… tout tendre… je me suis senti le cœur gros comme je ne l’avais pas eu depuis la mort de mon père… et je ne sais pas comment m’est venue tout de suite l’envie de te parler de lui, et de te raconter mon histoire… que je n’avais dite à personne… Aussi maintenant, si tu veux être ami avec moi…

Et comme, dans un mouvement de joie indicible, j’allais me jeter au cou de Bamboche, il arrêta mon transport, et me dit :

— Un instant, si nous sommes amis… je serai le maître.

— Tu seras le maître…

— Tu feras ce que je voudrai ?

— Tout ce que tu voudras…

— Si l’on me fait du mal… tu me revancheras ?…

— Sois tranquille, j’ai du cœur.

— Tu me diras tout ce que diront la Levrasse et la mère Major ?

— Tout.

— Tu ne me cacheras rien de ce que tu penses ?

— Rien… ni toi non plus ?

— Ce que je veux que tu fasses pour moi, je le ferai pour toi, — s’écria vivement Bamboche, — sauf que je tiens à être le maître, parce que c’est mon genre ; je te dirai tout, tu me diras tout, Je te revancherai comme tu me revancheras… et nous comploterons toujours ensemble. Ça va-t-il ?

— Ça va… et de bon cœur… — m’écriai-je tout heureux, tout fier d’être, après tant de peines, arrivé à mes fins, et de posséder un ami.