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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/305

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tournées. Je ne sais pas d’où elle venait, ni comment la Levrasse l’avait amenée dans la troupe.

— Pauvre petite fille ! — dis-je à Bamboche, — je croyais que c’était d’elle que tu étais amoureux.

— Non, non, tu vas voir. La Levrasse lui avait donné le nom de Basquine comme il m’a donné le nom de Bamboche. Quand elle a été morte, il a dit à la mère Major : — « Faut trouver une autre Basquine, mais plus gentille ; une fillette de cet âge-là, ça fait toujours bien dans une troupe, surtout quand la petite est gentille et qu’elle chante des polissonneries pour allumer les jobards. — T’as raison, — répond la mère Major, — faut trouver une autre Basquine. » Il y a deux mois, à la fin de la saison de nos exercices, la troupe était toute démanchée : l’Albinos avait avalé de travers une lame de sabre, et était entré à l’hospice, et notre pitre nous avait quittés pour entrer au séminaire.

— Au séminaire ?

— Oui, une maison où on apprend à être curé ; c’est dommage, car il n’y avait pas une plus fameuse blague que Giroflée !

— Qui ça, Giroflée ?

— Notre pitre donc, notre paillasse. Avec ça, naturellement les cheveux carotte foncée, économie de perruque à queue rouge. Il ne restait plus de la troupe que la mère Major, moi et la Levrasse ; le mauvais temps venait, c’était fini de la crampe pour l’année ; nous revenons ici, où la Levrasse passe l’hiver, lorsqu’un soir, après notre journée de marche, nous nous arrêtons pour passer la nuit dans un bourg ; il y avait quelque chose à raccommoder à la voiture, la Levrasse la conduit chez un charron, et il revient à l’auberge l’air tout content. « — J’ai notre affaire, qu’il dit à la mère Major, — j’ai trouvé une Basquine. — Bah ! et où ça ? — Chez le charron, il a onze enfants, dont six filles ; l’aîné de cette marmaille est un garçon de quatorze ans ; tout ça crève la faim, une vraie famine, sans compter que la mère est infirme ; mais, sais-tu ce que j’ai vu au milieu de cette potée d’enfants ? une petite fille de dix ans, un amour !… un trésor !… des cheveux blonds superbes et tout bouclés, des yeux noirs longs comme le doigt, une bouche comme une cerise, une petite taille mince et droite comme un jonc, et avec ça une petite mine futée, et de la gentillesse… de la gentillesse à en revendre. Elle est bien un peu pâlotte, parce qu’elle meurt de faim comme le reste de la famille ; mais avec de la viande