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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/41

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vestes rondes qui vont si bien aux enfants, vous ambitionniez un affreux habit… afin d’avoir l’air d’un petit monsieur

Malgré son aplomb, cette réponse à sa prétentieuse question dérouta quelque peu Scipion, qui reprit néanmoins avec son flegme habituel :

— Je ne comprends pas, ma chère madame Wilson.

— Mon Dieu ! c’est tout sample… mon cher Scipion, l’enfant gâté qui, à douze ans, tient à paraître un petit monsieur, veut, à vingt ans, passer pour un homme blasé.

C’était toucher au vif la prétention de Scipion… prétention malheureusement justifiée chez lui par l’habitude de l’affecter (le visage finit par garder l’empreinte d’un masque trop longtemps porté), et aussi par l’abus des plaisirs dégradants.

Le vicomte, cachant son dépit, reprit, en redoublant de sang-froid et d’insouciance :

— Ah… bah ! je joue le rôle d’un homme blasé ?

— Oui, et vous le jouez très-mal pour les connaisseurs, mon pauvre Scipion ; mais malheureusement… trop bien… pour les pauvres spectateurs candides.

Et Mme Wilson, après avoir jeté un regard touchant sur sa fille, reprit gaiement, certaine de bientôt rassurer Raphaële, dont elle avait plusieurs fois remarqué la tristesse :

— Allez, allez, mon cher Scipion, ne croyez pas vous faire passer pour vieux quand vous êtes jeune ; ces affectations s’arrêtent à l’épiderme… Vous portez le costume à la mode… voilà tout… Si étrange… si… bah ! une vielle femme peut tout dire… si ridicule qu’il soit, il ne parviendra jamais à vous défigurer… Vous avez beau dire : la chasse, plaisir de convention, vous risquez de vous casser le cou en suivant vos chiens… Le mariage… d’amour, plaisir de convention. Mais, non… ne lui répondons pas à ce sujet, Raphaële… — Et Mme Wilson se tourna gaiement vers sa fille, dont le ravissant visage se rassérénait déjà aux paroles de sa mère, — non, ne lui répondons pas ; nous nous montrerions trop glorieuses… L’Opéra, plaisir de convention… et que Mme Stoltz chante, que mademoiselle Carlotta danse, que mademoiselle Basquine chante et danse à la fois… vos avant-scènes sont en révolution, en combustion… dans vos transports de frénétique admiration pour ces deux merveilles de talent et de grâce, et surtout pour mademoiselle Basquine, à la fois gazelle et rossignol, on a vu des gants glacés cra-